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la commission d’enquête, représentée par M. Brisson, le principe de la séparation des pouvoirs, les droits de la magistrature, la dignité du gouvernement, les règles tutélaires de toute justice. Ces constitutionnels honnêtes et timorés ont visiblement manqué de sang-froid, d’esprit politique ; ils ont craint probablement de se compromettre, de paraître les alliés du gouvernement, les complices de ceux qu’on soupçonnait de vouloir suspendre ou détourner le cours de l’enquête. Le fait est qu’ils ont voté tous ou presque tous contre le ministère. Encore six voix et le ministère était renversé ! C’est pour le coup que l’incohérence parlementaire eût paru dans tout son éclat. Qu’auraient gagné les constitutionnels ? Le gâchis eût été un peu plus complet, voilà tout ! — Mais, dit-on, que pouvait-on faire ? Le ministère ne demandait pas aux constitutionnels leur concours. M. le président du conseil affecte en toute occasion de ne s’adresser qu’aux républicains, à la majorité républicaine ! C’est possible. M. Ribot, comme d’autres, peut avoir cette faiblesse. Il ne s’agissait pas, après tout, de faire plaisir à M. le président du conseil, il s’agissait de s’inspirer de la vérité des choses. Les constitutionnels avaient une conduite bien simple à tenir. Ils n’avaient qu’à dire à M. le président du conseil : — « Vous ne nous demandez pas notre appui, nous n’avons pas à vous l’offrir. Nous ne nous engageons à rien, nous gardons notre liberté. Vous défendez aujourd’hui un principe de tout gouvernement, de toute société régulière : nous votons pour le principe, — ou, à la rigueur, nous nous abstiendrons, nous attendrons ! » — S’ils avaient agi ainsi, le ministère en aurait profité sans doute, il n’aurait pas été si près de tomber, d’ajouter par sa chute au gâchis ; les constitutionnels n’auraient pas moins gardé leur indépendance, restant comme une réserve intacte avec laquelle il y aurait eu à compter, — et la situation serait tout autre aujourd’hui dans la chambre ! Un fait certain dans tous les cas, c’est que ces tactiques paraissent désormais assez vaines, qu’on ne peut rien gagner à affaiblir encore plus le gouvernement et que le gouvernement à son tour ne peut avoir l’autorité, la force dont il a besoin que par l’alliance des modérés de tous les camps. Pour tous, la nécessité évidente, pressante, c’est de sortir de cette situation violente où il y a d’un côté cette désastreuse liquidation d’un passé suspect et où d’un autre côté les socialistes révolutionnaires ne cachent plus leur dessein de profiter des circonstances pour pousser à fond leur guerre contre la société française tout entière.

Quel sera au bout du compte le destin de cette chambre qui vient d’être rendue au repos pour quelques jours, jusqu’au 10 janvier, en attendant de disparaître définitivement dans quelques mois ? Il est certain que ces sept ou huit semaines de session extraordinaire qu’elle vient de passer ne lui auront pas été clémentes, qu’elle a reçu des coups meurtriers pour son autorité, pour sa considération, et qu’elle a