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frin prenait tout cela à son compte, que, fidèle intermédiaire, le perroquet lui transmettait tout ce qu’il avait reçu, que le pauvre homme rougissait de joie sous son épaisse barbe châtain clair, et je maudis la déplorable habitude qu’avait Monique, dans ses relations avec ce modeste, mais opiniâtre soupirant, de faire alterner les bons procédés avec les mauvais, les consolations avec les chagrins. Le voyant si heureux, je ne doutai point que le soir même il ne fît connaître une fois de plus à sa mère son irrévocable résolution de demander en mariage M lle Monique Brogues, qu’il ne lui livrât un nouvel assaut, et il ne me semblait pas impossible que cette Anglaise, qui après tout n’était pas de bronze, finît par capituler. Je m’intéressais beaucoup à M. Monlrin, j’aurais voulu lui épargner la cruelle déception qu’il se préparait, et lui dire : « Vous êtes un imprudent, gardez-vous de franchir le pas. Il faut savoir dans ce monde se contenter des demi-bonheurs ; vous la voyez aussi souvent qu’il vous plaît, vous ne la verrez plus. »

Toujours sûr de sa volonté, mais exempt de tout sot orgueil, il acceptait plus volontiers les secours que les conseils ; il ne demandait son chemin à personne, mais il n’était pas fâché qu’on lui tendît la main pour enjamber les fondrières, et je ne prévoyais pas que dès le lendemain il allait me mettre dans un grand embarras.

Je m’étais rendu en voiture àËpernay pour prendre à la gare un ballot de livres que j’avais fait venir de Paris, les uns pour mon usage, les autres pour Sidonie, et je retournais à la villa, quand je me croisai avec M. Monfrin, qui était en calèche découverte. Il sauta lestement à terre, courut après moi.

— Auriez-vous, cher monsieur, me dit-il, une heure à me donner ?

— Deux, si vous le voulez.

— En ce cas, renvoyez, je vous prie, votre voiture, et faites moi l’amitié de monter dans la mienne ; elle vous transportera où je désire vous mener et vous reconduira ensuite chez vous.

Je m’empressai de me conformer à son désir, et il donna l’ordre à son cocher de prendre la route de Beauregard.

— J’ai, reprit-il, un très grand service à vous demander, et comme j’ai en vous la confiance la plus absolue...

— Gela ne m’étonne pas, interrompis-je en riant ; c’est un genre de déclaration qu’on me fait souvent, mais je crains bien que les femmes ne m’en fassent jamais d’autres.

Il avait l’air si grave que je ne plaisantai pas longtemps, et comme il était concis dans tous ses propos, il m’expliqua brièvement que sa mère désirait causer quelques instans avec moi ; il ajouta que de cet entretien dépendait peut-être le bonheur de