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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 275

Elle s’empressa de faire ce qu’il lui demandait. Peut-être avait-elle soupçonné sur-le-champ que cette grille entre-bâillée pouvait lui servir à s’expliquer pourquoi la porte de sa mère demeurait obstinément fermée ; de minute en minute, elle me paraissait plus inquiète. En arrivant à l’allée bordée de jeunes sapins qui conduisait à la grille, Joseph nous engagea à marcher dans l’herbe pour ne pas effacer les traces. Il n’avait point rêvé, on apercevait sur le sol détrempé des empreintes de pas, et il était facile de s’assurer que les maraudeurs avaient pris l’un des côtés du chemin pour se diriger de la grille vers la maison, et l’autre pour retourner de la maison à la grille. Ces empreintes étaient fort petites, et Joseph en fit lui-même la remarque.

— Tout le monde sait, dit-il, que les voleurs emploient souvent des enfans.

— Ce qui me paraît bizarre, lui dis-je, c’est qu’il y a beaucoup plus de traces dans un sens que dans l’autre. On pourrait croire que le visiteur nocturne avait deux jambes quand il est entré et qu’il en avait quatre quand il est sorti.

— Ils étaient deux, me répondit-il, d’un ton doctoral ; mais en entrant, il en est un qui, par précaution, a cheminé sur le gazon.

Nous atteignîmes la grille ; il est probable qu’on avait tenté de la refermer, sans y réussir. Nous sortîmes sur le chemin rural, et nous y vîmes ce que Joseph appelait les grandes traces. C’étaient les ornières creusées dans une terre grasse par une voiture à quatre roues, qui, après s’être engagée dans l’impasse, avait dû tourner sur elle-même pour regagner la grande route.

— C’est clair comme le jour, disait-il. Ces brigands sont arrivés ici avec une charrette ; ils ont envoyé des enfans en reconnaissance, ces enfans ont rencontré les chiens, qui ont aboyé ; ils ont eu peur, les voleurs ont eu peur aussi et sont repartis comme ils étaient venus.

Il expliquait tout par la peur, qui était peut-être, avec la boisson, sa passion dominante.

— A. qui en avaient-ils ? demanda Sidonie.

— Eh ! parbleu, mademoiselle, aux plantes de mes serres, répondit-il, en se rengorgeant. On sait bien ce qu’elles valent.

— Il faudra faire changer cette serrure, lui dit-elle avec beaucoup de calme. En attendant, barricadez la grille du mieux que vous pourrez.

Nous le laissâmes à son travail, qui n’était pas commode, et nous regagnâmes la maison par un autre chemin. Je n’essayais plus de la rassurer ; ma conviction était faite. Joseph se trompait doublement : il avait tort de croire qu’on en voulait à ses serres et de s’imaginer qu’on n’avait rien pris ; je tenais pour certain