Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le fils, qui en savait aussi long que le père sur la politique et, bien mieux que lui, était capable de s’y conduire, écoutait pieusement ce testament, qui était tout son programme. Le discours fini, le roi appela les officiers de sa maison : « Dieu ne m’a-t-il pas fait une grande grâce, leur dit-il, de me donner un si bon et si digne fils ! » Le prince lui baisa la main, en la mouillant de ses larmes. Le roi passa les bras autour du cou de son fils en murmurant : « Je meurs content d’avoir un si digne fils et successeur. » Le père, devant la certitude de la mort prochaine, résigné à l’inéluctable, le fils, apaisé par cette même certitude, se réconciliaient enfin. Ils s’aimèrent du moins in extremis.

Le lendemain, 29 mai, le roi fit porter dans sa chambre le cercueil de chêne à poignées de cuivre qu’il s’était destiné. La mort approchante semblait lui donner du calme : pour la première fois, il parla, en regardant le cercueil avec un air de satisfaction, de la tranquillité du sommeil éternel. Il dit ensuite au prince qu’il avait mis par écrit comment il voulait qu’on en usât avec son corps, après que Dieu l’aurait tiré hors de cette temporalité, et il fit faire la lecture de ce règlement.

Comme il avait toujours été très propre, il commandait que son corps fût lavé, revêtu de linge blanc et couché sur une table ; là, son visage sera rasé, et le corps, après un nouveau nettoyage, enveloppé d’un drap. Curieux du pourquoi des choses, il voulait qu’après quatre heures écoulées, le corps fût ouvert, en présence de personnes qu’il nommait, et qu’on examinât soigneusement l’état des parties internes pour découvrir la cause de sa mort. Très ordonné, aimant que chaque objet demeurât en sa place, il détendait de rien ôter de lui, excepté l’eau et les flegmes qui s’y pourraient trouver. Il réglait et se représentait avec la précision la plus minutieuse la parade funèbre : son régiment s’assemblera, vêtu d’un uniforme neuf, le premier bataillon devant le château, l’aile droite à la rivière, là où les murailles commencent ; le second à côté, sur la gauche, et le troisième derrière le second ; les tambours seront recouverts de drap noir, et les fifres et les hautbois garnis de crêpe ; les officiers porteront le crêpe au chapeau, au bras, à l’écharpe et à la dragonne ; le drapeau sera voilé de crêpe. Le carrosse sera mené au pied de l’escalier vert, les chevaux la tête tournée vers la rivière ; le cercueil y sera porté par huit capitaines, qui aussitôt après iront se ranger à leur poste ; puis le régiment se mettra en marche, les soldats tenant le fusil renversé sous le bras gauche, les tambours battant la marche funèbre et les fifres jouant l’air du cantique : « O tête, pleine de sang et de blessures. » À l’arrivée devant l’église, les huit capitaines