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MM. les ministres auraient bien voulu se réunir en conseil pour y délibérer sous la présidence de sa majesté, mais Frédéric aimait moins encore que son père les discours et les débats. Il déclara qu’il s’en voulait tenir aux usages du règne précédent ; les ministres lui firent leurs rapports et leurs propositions individuellement, de bouche ou par écrit, et il y répondit, comme avait fait son père, et ses ordres furent recueillis, à la suite de ceux de Frédéric-Guillaume, sur le gros registre, où on lit, à la date du 1er juin 1740 : « Ici Sa Royale Majesté, Frédéric, roi de Prusse, a commencé à signer. » Ils sont souvent donnés du même style que ceux du père, brefs, durs, tranchans. MM. les ministres trouvèrent sur le gros registre, le mois même de l’avènement, en regard d’une de leurs propositions, cette réponse : « Lorsque les ministres raisonnent des négociations, ils sont d’habiles gens ; mais lorsqu’ils parlent de la guerre, c’est comme quand un Iroquois parle de l’astronomie. »


V

Ainsi, point de victimes, point de favoris, point de nouveautés dans le régime. Qu’y a-t-il donc de changé ? Rien et tout.

Se succèdent : l’abolition de la torture ; la suppression des dispenses ecclésiastiques pour mariages entre parens éloignés ; la déclaration que, dans les États du roi de Prusse, chacun est libre de faire son salut comme il l’entend ; la tenue solennelle d’une loge maçonnique où sa majesté elle-même occupe la chaire ; le rappel de Wolf exilé, et dont le retour semble à Frédéric une conquête dans le pays de la vérité ; la restauration de l’Académie des sciences ; l’appel à S’Gravesande, à Euler, à Maupertuis, que Frédéric supplie « d’enter sur ce sauvageon d’académie la greffe des sciences afin qu’elle fleurisse ; » les offres à des peintres, à des musiciens, à des comédiens et à des chanteurs, afin de « recueillir à Berlin tout ce que ce siècle a de fameux ; » l’interdiction des mauvais traitemens infligés aux soldats, des brimades de casernes, des violences dans le recrutement, et cet ordre aux généraux de renoncer à la dureté, à l’avarice et à l’orgueil, attendu qu’un bon soldat doit être humain et brave ; la suppression de la contrainte à bâtir, qui a ruiné tant de bourgeois à Berlin ; le massacre en masse des cerfs des chasses royales, et la conversion de terrains de chasse en prairies et terres de labour ; la préférence donnée pour l’adjudication d’un fermage à celui des concurrens qui se contentera des redevances en argent des paysans, sans exiger d’eux aucuns services de corps, etc.