Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seigneurs, clergé, bourgeois, paysans eux-mêmes sont en lutte perpétuelle pour revendiquer ce qu’ils appellent leurs droits. Ce ne sont que procès des uns contre les autres, prétentions fondées sur des titres surannés, chaque classe s’évertuant à la défense de ses libertés, et, au milieu de ces conflits, oubliant la liberté. Chose admirable : voici des excommuniés, des hommes que la loi civile traite presque aussi mal que la loi religieuse, les comédiens du roi, qui ont leurs privilèges et qui les soutiennent avec un acharnement extrême ; et, loin de leur inspirer des sentimens de fraternité, cette double déchéance les rend plus arrogans peut-être que ceux qui les oppriment. Est-ce donc une loi de notre être de se venger sur ce qui est au-dessous de soi des injures qu’on a reçues d’en haut ?

Rivalités des grands théâtres entre eux, procès de ceux-ci contre les petits, querelles des acteurs les uns avec les autres, tentatives et ruses de toute sorte pour se soustraire à l’autorité des gentilshommes de la chambre, rapports des comédiens avec les auteurs, le public et les gens du monde, ces questions, ces débats remplissent les chroniques du XVIIIe siècle, alimentent les conversations, autant ou plus que les conflits du parlement avec la royauté, des jansénistes avec les jésuites et les péripéties de la politique étrangère, car il s’agit ici du plaisir social par excellence, plaisir où les femmes avaient part, et s’amuser, parler de ses amusemens est alors la grande affaire. Mais est-ce alors seulement, et d’avoir saupoudré d’austérité l’égoïsme ou le désir légitime d’alléger le fardeau de l’existence, en y semant quelques sourires, cela nous rend-il si différens des hommes d’autrefois ? Quoi qu’il en soit, les infiniment petits deviennent en pareille matière les infiniment grands, et les mille riens de l’histoire dramatique prennent l’importance que leur accordent les contemporains ; pour ceux qui viennent ensuite, il est toujours curieux de regarder ces tableautins et, dans ces prétentions éteintes, de retrouver un écho de celles qui nous agitent : elles se sont déplacées, elles ont revêtu un autre costume, comme la liqueur prend la forme du vase où on la verse ; ont-elles beaucoup changé dans leur essence ?

Ainsi, ne semble-t-il pas assez piquant, invraisemblable même d’apprendre qu’en terre de France des hommes prétendirent interdire à d’autres hommes l’usage de la langue française ? Après avoir longtemps joué des pièces italiennes, les comédiens italiens imaginèrent d’intercaler des mots français dans le dialogue ; bientôt ils donnèrent des comédies de Fatouville, du Fresny, Regnard, Brugière de Barante, sans cesser toutefois de conserver leurs types italiens. Protestation des comédiens français qui crient à l’empiétement, soumettent leurs griefs à Louis XIV. Celui-ci ayant voulu