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eut d’abord des enfans pour acteurs, et sur sa porte étaient inscrits en gros caractères ces mots : Sicut infantes audi nos, calembour pitoyable qui contribua grandement à son succès. Et l’ombre de d’Argenson dut frémir d’horreur en apprenant que Lenoir multipliait les petits théâtres, autorisait les Variétés-Amusantes, les Associés, les Délassemens-Comiques. Il est vrai qu’indépendamment des redevances, de la censure de la police, les forains doivent soumettre toutes leurs pièces au visa de deux censeurs désignés par les Comédies française et italienne, Préville et Dehesse, et ceux-ci avaient grand soin de défigurer tout ce qui offrait une allure un peu littéraire, ne tolérant que la facétie grossière ou la parade ; mais de cette ingérence vexatoire les madrés compères ne tiennent guère compte, car, en 1781, Molé écrit avec désespoir au lieutenant de police qu’ils rétablissent tous les passages supprimés. Condamnés en principe à l’immoralité, les forains, véritables cafés-concerts de l’époque, font les délices des amateurs du genre poissard et ordurier ; et telle est la vogue de cette littérature qu’une ineptie malpropre comme les Battus paient l’amende (de Dorvigny) est jouée deux cents fois de suite, deux lois par jour, aux Variétés-Amusantes, et rapporte 400,000 livres (1780). Volange, dit Janot, soutenait de son talent bouffon cette farce qui fit courir tout Paris : son succès le grisa au point qu’il eut l’idée de solliciter un ordre de début à la Comédie-Italienne[1] ; il l’obtint, se montra excellent dans les rôles de niais ridicules ou bas, médiocre et trivial dans les autres emplois, et, son début terminé, retourna sagement à son public. On raconte que le marquis de Brancas, voulant en régaler ses amis, le convia à un grand souper. — Mesdames, dit-il, voilà M. Janot, que j’ai l’honneur de vous présenter. — Monsieur le marquis, fit l’acteur, en se rengorgeant, j’étais Janot aux boulevards, mais je suis à présent M. Volange. — Soit, répondit Brancas, mais comme nous ne voulions que Janot, qu’on mette à la porte M. Volange.

Le 18 juillet 1784, l’Opéra, dont les charges sont accablantes, obtint le privilège de tous les spectacles des foires et remparts de Paris, avec permission de rétrocéder à qui bon lui semblerait. La Comédie, les forains, jettent les hauts cris, mais en vain, et les directeurs des Variétés-Amusantes, qui ont voulu résister en justice, sont bel et bien dépossédés, remplacés par Gaillard et Dor-feuille, ex-directeurs du théâtre de Bordeaux : à travers mainte chicane, les Variétés-Amusantes devenaient ce second théâtre français réclamé par les auteurs, si bien qu’à la fin de 1791 il

  1. Grimm, t. XII, p. 253.