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autres ? De quel droit les auteurs modernes viennent-ils attaquer des conventions faites avec les anciens poètes du Théâtre-Français ? Sont-ils leurs successeurs et héritiers ? stipulent-ils des intérêts de famille ? Voici vingt extraits de nos registres qui démontrent à quels titres nous avons acquis les pièces de notre répertoire. Lisez, messieurs de la Constituante : donné à Molière pour les Précieuses ridicules, en plusieurs acomptes, 1,000 livres ; 2,000 livres à Pierre Corneille pour son Attila : en 1670, donné 2,000 livres à Thomas Corneille, prix fait pour sa Bérénice. En 1673, payé à M. de La Calprenède pour une pièce de théâtre qu’il doit faire, 100 livres. — N’est-ce pas sur la foi de la propriété de toutes ces pièces que, pendant plus d’un siècle, nous avons contracté, transigé, acquis des immeubles, créé des rentes, stipulé une foule de conventions ? Et Fleury, qui avec Dazincourt et Mole avait signé le mémoire, répétait un mot de sa nourrice la cardeuse sur des avancés de son temps : « Ces gens d’aujourd’hui, parce qu’ils ont un peigne à carder, prétendent qu’ils doivent avoir le droit de coucher sur tous les matelas de la ville. »

La bataille continua. Vous avez, ripostaient les auteurs, acquis le droit de jouer les pièces ; mais le droit de les jouer seuls, vos actes n’en disent pas un mot. Le privilège n’étant plus, l’exclusif tombe en même temps, et tout le monde rentre dans ses droits. Au reste, les anciens auteurs n’ont pas stipulé librement, puisque le monopole de la comédie ne permettait point de faire jouer ailleurs leurs pièces. Votre propriété rentre dans la catégorie des biens de mainmorte que la Constituante vient d’attribuer à la nation : celle-ci doit être propriétaire des œuvres dramatiques après que les auteurs et les comédiens en ont retiré un bénéfice convenable.

Le 13 janvier 1791, Le Chapelier lut à la Constituante son rapport sur la pétition des auteurs : la loi votée le même jour décrète la liberté industrielle, abolit la censure, reconnaît la propriété littéraire. Dorénavant, chaque citoyen peut, après en avoir fait la déclaration à la municipalité, élever un théâtre public et y représenter toute sorte de pièces ; les ouvrages des auteurs morts deviennent propriétés publiques cinq ans après leur décès ; sous peine de confiscation du produit total des représentations, ceux des auteurs vivans ne peuvent être joués sans leur consentement par écrit. Jadis le public avait supporté avec impatience la présence des gardes établis par les gentilshommes de la chambre afin de le surveiller ; désormais, la garde ne devait pénétrer que dans le cas où la sûreté publique serait compromise, et sur la réquisition expresse de l’officier civil. Quant aux théâtres de province, les auteurs jusqu’alors n’avaient pas de rapports avec eux, parce qu’aucune loi