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pensée confuse, » excitée « par le mouvement des nerfs » et qui a pour résultat, remarque ingénieusement Descartes, de « disposer l’esprit à cette autre pensée plus claire en laquelle consiste l’amour raisonnable. » Qu’est-ce, par exemple, que le sentiment de la soif, produit par la sécheresse de la gorge ? C’est un état concret de la conscience, « une pensée confuse qui dispose au désir de boire, mais qui n’est pas ce désir même. » Pareillement, dans l’amour, « on sent je ne sais quelle chaleur autour du cœur, » qui fait « qu’on ouvre même les bras comme pour embrasser quelque chose, » mais ce sentiment de chaleur n’est point encore l’union de volonté avec l’être aimé ; « aussi arrive-t-il quelquefois que le sentiment ou la passion de l’amour se trouve en nous sans que notre volonté se porte à rien aimer, à cause que nous ne rencontrons point d’objet que nous pensions en être digne. » Il faut donc toujours, selon Descartes, distinguer l’élément physique des passions, qui se retrouve jusque chez les animaux et qui, par conséquent, n’est qu’un mécanisme nerveux, d’avec l’élément intellectuel, qui n’existe que chez un être pensant. Théorie originale et profonde, qui contient en germe bien des vérités aujourd’hui reconnues. Descartes anticipe les recherches de Darwin sur l’expression des émotions. De plus, il comprend ce que bien des psychologues contemporains méconnaissent encore : que ce qui nous semble « l’expression » de nos passions est, en grande partie, un élément intégrant et constitutif de ces passions mêmes. La peur, par exemple, en tant que passion, n’est point constituée par ce raisonnement intellectuel : — Voici une bête nuisible, donc je fuis. — Elle est constituée par la conscience même des mouvemens automatiques et réflexes que provoque, « sans notre volonté, » l’image de l’objet terrible surgissant dans le cerveau. Avoir peur, c’est percevoir confusément la tempête cérébrale et nerveuse qui aboutit mécaniquement aux mouvemens des jambes ; avoir peur, c’est se sentir entraîné mécaniquement à fuir. À l’automatisme, selon Descartes, il appartient de commencer, indépendamment de notre volonté, tous les mouvemens utiles à notre conservation, et de les propager dans les muscles par une « ondulation réflexe. » Aussi notre volonté ne peut-elle agir directement sur nos passions et émotions : le changement qu’elle désire n’a lieu, dit Descartes, que si « la nature ou l’habitude a joint tel mouvement à telle pensée. » De même, ajoute Descartes, essayez de dilater ou de contracter votre pupille, vous n’y parviendrez pas : car « la nature a joint ce mouvement non à la volonté de dilater ou contracter, mais à la volonté de regarder des objets distans ou rapprochés. » Nous sommes donc obligés d’agir indirectement sur nos passions, en évoquant des images contraires à celle dont nous voulons refréner