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traditions. Si des modifications ont lieu, ce sera dans un autre ordre d’idées, comme nous l’indiquerons plus loin, en montrant le revirement caractéristique qui se produit au sujet de la question, négativement tranchée, de la dot et qui se rouvre à nouveau.

Comme toutes les races essentiellement progressives, la race américaine est éminemment adaptable ; elle n’a gardé ni la raideur, ni les préjugés britanniques. Si les Américains s’accommodent de vivre à Paris, à Londres ou à Florence, s’ils se plient facilement aux conditions différentes d’existence et de milieu, les Américaines sont plus cosmopolites encore. L’Europe les charme, les attire et les retient par sa culture intellectuelle et artistique, par ses souvenirs historiques et aussi par son bon marché relatif, par ses plaisirs peu dispendieux. Il faut avoir vécu longtemps dans le milieu américain, intelligent à coup sûr, mais où rien ne parle à l’imagination, où le passé date d’hier, où la vie matérielle est coûteuse, le labeur incessant, le temps de l’argent qu’on économise, pour apprécier à leur pleine valeur nos jouissances artistiques, nos musées et nos galeries, nos monumens et les souvenirs qu’ils évoquent, nos grandes villes où chaque pierre a son histoire. Tout cela fait si bien partie de nous-mêmes que nous nous croyons blasés sur le charme qui s’en dégage et n’en avons conscience qu’après en être quelque temps séparés. Tout cela a, pour des imaginations neuves et vives, un attrait puissant, et vous distinguerez sans peine, dans la cour du Louvre, les Uffizi de Florence, le Campo Santo de Pise, le Colisée de Rome, l’Américaine de l’Anglaise, par le regard admiratif et contemplatif de la première, par le coup d’œil distrait de la seconde feuilletant son Bœdeker. L’une regarde, l’autre constate ; l’une a des impressions, l’autre des réminiscences.

Ainsi que l’Anglaise, l’Américaine est fille de l’Europe, et ni le temps ni la distance n’ont affaibli chez elle le culte du passé ; elle s’y rattache d’autant plus qu’elle en est plus éloignée, que sa mémoire est moins surchargée de dates et de faits, qu’à feuilleter les pages de l’histoire elle satisfait une curiosité que les traditions ont éveillée, que les livres ont entretenue. Certes, ni la Seine ni la Tamise, ni le Pô ni l’Arno ne rappellent le Mississipi déroulant sur 3,700 kilomètres ses eaux troubles et fécondes ; il faudrait 160 lacs Léman pour égaler la superficie du lac Supérieur et la cime même du Mont-Blanc n’atteint pas l’altitude du point culminant des montagnes Rocheuses, mais elle n’ignore pas que dans ce cadre restreint s’accomplirent de grandes choses ; si le théâtre est plus petit, l’ancêtre y apparaît plus grand.

Cette attraction puissante que l’Europe exerce sur les Américains,