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démocratiques des États-Unis. À les entendre, le résultat ne pouvait être autre étant donné le point de départ, à savoir : l’intimité constante entre jeunes filles et jeunes gens, l’égalité des sexes érigée en axiome, l’abdication des parens et l’indépendance des enfans, les préférences librement avouées et les choix librement faits. Les travers signalés sont, selon eux, les conséquences inévitables d’une démocratie hostile d’instinct au principe d’autorité, s’appliquant en tout à le réduire à son minimum d’action et de contrôle, préconisant l’égalité avec un zèle d’apôtre et la pratiquant avec une ferveur de néophyte. Mais alors ces prétendus apôtres de l’égalité, ces soi-disant niveleurs de privilèges auraient donc abouti à rétablir l’inégalité au profit de la femme, à faire d’elle la privilégiée par excellence, et, prenant le contre-pied de la conception asiatique, à l’ériger en despote et à convertir l’homme en sujet.

On a, ce nous semble, fort exagéré l’influence des institutions politiques sur les mœurs sociales. Instables et mobiles, les premières changent au gré des passions ou des nécessités du moment. Il n’en va pas de même pour les autres, pour cet ensemble d’usages et de coutumes qui repose sur des traditions ininterrompues, sur une longue transmission. Elles se modifient, mais lentement ; elles sont la résultante d’une séculaire expérience, et, dans leurs évolutions, ne procèdent pas par brusques à-coups. Il subsiste plus qu’on ne croit du fond primitif commun à l’Américain et à l’Anglais dans leurs rapports avec les femmes et la part plus large faite à la femme aux États-Unis, l’indépendance plus grande dont elle jouit, découlent autant du changement de milieu que de l’avance intellectuelle qu’elle sut prendre au début et qu’elle garda longtemps.

Mais à mesure que les États-Unis grandissent et s’affinent, l’écart entre les deux sexes décroît. Le temps n’est plus où la lutte avec la nature absorbait l’Américain ; les forêts sont défrichées, les terres mises en culture ; les Indiens achèvent de mourir dans leurs réserves ; les grands fleuves, obstacles aux communications, sont convertis en grandes voies de transports ; un immense réseau de routes et de chemins de fer relie toutes les parties de l’Union, et l’instruction publique, largement dotée et largement répandue, a considérablement relevé le niveau intellectuel et restitué à l’homme une supériorité compromise. Les États-Unis possèdent aujourd’hui des savans illustres, des jurisconsultes éminens, des médecins célèbres, des professeurs connus et appréciés de l’Europe, des écrivains de premier ordre, et si, au point de vue artistique, ils ne peuvent encore rivaliser avec l’ancien monde, il importe de tenir compte et de la jeunesse relative de leur civilisation et des