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fut de recueillir et d’adopter deux petits orphelins, sans famille. Elle n’avait pas d’enfans ; ils lui en tinrent lieu et, sur eux, elle déversa les trésors d’une intelligente tendresse maternelle. Sans qu’elle le sût ou le voulût, ses efforts, son exemple, ainsi que graines semées dans un bon sol, germaient et levaient autour d’elle. On la consultait, car on la savait de bon conseil ; on l’écoutait, car on la savait sincère ; on l’aimait, car elle était bonne, et son influence s’étendait et grandissait. Le jour où elle en eut conscience, une autre tâche, plus haute, lui apparut. Elle l’entreprit avec la même sérénité et la même vaillance. L’estimant trop lourde pour elle seule, elle chercha autour d’elle des aides et des collaborateurs : son mari d’abord dont elle avait le cœur, la confiance et la reconnaissance, puis le médecin du village, car le settlement en était devenu un ; sans peine elle s’en fit un allié, tant était vive la sympathie qu’elle inspirait. Éliminer ou réformer les élémens dangereux de leur milieu, par le temple et l’école combattre les mauvais penchans et grouper la génération naissante, par de bons livres déraciner les idées fausses, créer une vie sociale qui détournerait l’homme du cabaret et sortirait la femme de sa solitude, tel fut son but et, par les mêmes moyens dont l’efficacité lui avait été prouvée, elle parvint à l’atteindre.

« Aujourd’hui, écrit son biographe, elle consacre aux autres et à son développement intellectuel les loisirs que lui crée une large aisance, qu’elle n’a pas cherchée et qui est venue comme par subrogation. Elle a beaucoup lu, elle écrit bien, clairement, et les journaux de l’est ont souvent publié des lettres où elle fait preuve d’une remarquable compréhension des besoins des populations agricoles. J’eus l’occasion de l’accompagner en voiture dans quelques-unes de ses excursions. Du plus loin que les travailleurs des champs l’apercevaient, ils quittaient leurs outils et accouraient à elle, la sollicitant d’entrer chez eux, de venir voir leurs femmes et leurs enfans. Rien de plus touchant que l’affectueux hommage de ces hommes rudes, rien de plus charmant que l’accueil qu’elle leur faisait et que son empressement à serrer leurs mains calleuses. Je dînai avec son ami le docteur ; il me raconta les détails de son histoire et, en le faisant, il avait peine à cacher son émotion. Quand il eut terminé son récit, sa femme n’ajouta qu’un mot : « Ici, voyez-vous, toutes les femmes l’aiment et tous les hommes l’adorent. »

Changeons de cadre et de milieu. Dans des conditions autres et avec un point de départ différent, nous noterons les mêmes forces à l’œuvre. Ici non plus, il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel, mais bien d’une monographie, banale à force d’être vraie, sans