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cosmopolite, et le propre du cosmopolitisme est d’adoucir, jusqu’à les effacer, les angles des nationalités, d’amortir leurs chocs et de substituer à leur antagonisme un nationalisme vague, reposant non plus sur des différences de races et de sol, de langage et de croyances, mais sur des similitudes de position sociale, de fortune, de goûts et de conditions mondaines. Ceci explique ce que nous disions plus haut, à savoir que, plus adaptable que lui, elle est aussi plus populaire.

Peu de nations essaiment autant que celle-ci, et cela résulte de l’accord complet de l’homme et de la femme, tenant la nationalité pour indépendante du sol, estimant que l’émigration, l’exil volontaire, ne sont pas plus une épreuve ou un renoncement, qu’ils ne sont un aveu d’impuissance. L’une des causes qui militent le plus contre l’extension coloniale de la France est l’instinctive répugnance de la jeune fille française et de sa famille à accepter l’idée d’émigration associée, non sans quelque apparence de raison, à celle de déclassement. Aussi longtemps que l’émigration dans nos colonies lointaines se recrutera presque exclusivement parmi les gens de petits métiers, les incapables ou les aventureux, que volontiers on qualifie d’aventuriers, aussi longtemps se refusera-t-on à admettre, sauf en certains cas exceptionnels, la convenance, pour une jeune fille, de s’unir à un homme qui l’emmènerait loin des siens. Prévention justifiée ou préjugé, il importe peu ; le fait est tel, et l’opinion de la plupart des Françaises sur ce point est l’un des plus sérieux obstacles que rencontre la colonisation. L’instinct sédentaire et conservateur de notre race est en méfiance du dehors, non des étrangers qui en viennent et auxquels on accorde un accueil bienveillant que leur passé ne justifie pas toujours, mais des nationaux qui s’y rendent dans l’espoir d’y améliorer leur sort. À part le fonctionnaire, auquel l’estampille gouvernementale tient lieu de tout le reste, le colon volontaire aura peine, dans les classes élevées ou même moyennes, à trouver une compagne disposée à unir son sort au sien et à rompre en visière avec de traditionnels erremens.

Il n’en fut pas toujours ainsi et, chose singulière, il en est surtout ainsi depuis que la vapeur a diminué les distances, depuis que les communications lointaines sont devenues régulières et faciles, depuis que l’instruction, mieux dotée, est plus répandue, depuis que les idées libérales prévalent, que les barrières entre les classes sont supprimées et que la démocratie règne. On encourage les explorateurs intrépides, pionniers de la civilisation à laquelle ils ouvrent des terres nouvelles, on ne les suit pas ; on applaudit à la création d’un empire colonial, on n’y va pas ; on