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les villes, des rassemblemens tumultueux se livrent à des manifestations révolutionnaires, attaquant les propriétés, rançonnant la population paisible, résistant aux répressions légales. Dans les campagnes, des bandes armées parcourent les villages, répandant la terreur par leurs violences, par leurs menaces, souvent par l’incendie. C’est un état assez grave pour que le gouvernement ait été obligé d’envoyer des troupes à l’appui de la police, le plus souvent impuissante, et pour qu’il ait cru même devoir recourir à la dernière ressource, à l’état de siège dans certaines régions. Il met garnison dans les villes et protège les villages par ses patrouilles. Que les excitations anarchistes ne soient point étrangères à ces mouvemens qui ne paraissent ni accidentels ni isolés, c’est possible. Les socialistes multiplient en ce moment leurs propagandes en Hollande et profitent des circonstances. Malheureusement, il y a aussi une cause trop réelle : c’est la crise agricole qui règne dans les campagnes, c’est la détresse des populations rurales aussi bien que des populations industrielles. Et en Hollande comme partout, la sédition trouve facilement une complice dans la misère !

Quelle est au juste la signification, quelles seront les suites de la révolution ou de l’évolution ministérielle qui a marqué, pour l’Espagne, les derniers jours de l’année ?

Un changement de ministère n’a certainement rien d’extraordinaire dans un État libre. C’est le jeu naturel des institutions, le résultat des variations de l’opinion. Le ministère a changé il y a quelques mois en Angleterre, M. Gladstone et ses amis ont succédé aux conservateurs et à leur chef, lord Salisbury, parce que l’opinion anglaise s’est déplacée, parce que des élections est sortie une majorité libérale. C’est le propre des pays parlementaires, et si le passage d’une politique à une autre politique n’est pas sans gravité, il est sans péril pour les institutions elles-mêmes, maintenues par la force des traditions et des mœurs, par la discipline des partis. Il n’y a là rien d’obscur, tout suit une loi régulière. L’Espagne, pour sa part, n’en est pas encore là ; elle a la fiction plus que la réalité du régime parlementaire. Pourquoi M. Canovas del Castillo a-t-il été obligé de quitter le pouvoir ? Il n’avait pas, à ce qu’il semble, l’opinion contre lui ; il n’avait pas cessé d’avoir une majorité dans les Cortès qu’il avait fait élire il y a deux ans, Il est tombé, victime de quelques fautes évidemment, mais surtout de l’incohérence et de l’indiscipline des conservateurs, dont il était le chef. Il ne l’a pas caché récemment dans un discours où il a laissé percer quelque amertume. Avant M. Canovas, le chef des libéraux, M. Sagasta, était tombé par les mêmes raisons, par l’incohérence et les divisions de son propre parti. Il revient aujourd’hui aux affaires, ramené moins par un mouvement sensible d’opinion que par l’impuissance de ses adversaires. Réussira-t-il mieux cette fois que dans ses précédens