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même sang, des tribus hostiles presque étrangères l’une à l’autre. Et les vestiges des anciennes démarcations persistent parfois, dans les mœurs, après les haines qui les avaient tracées. Voyez, chez nous, en France, les protestans. Aujourd’hui que, entre eux et nous, sont tombées les murailles de règlemens et les barrières de préjugés ; que, dans toutes les écoles, leurs enfans coudoient les nôtres, les protestans français nous semblent parfois, à nous catholiques, garder je ne sais quelle raideur puritaine qui n’est pas dans le tempérament français. Ils nous semblent avoir, dans leurs manières, dans le ton de leur langage, ou le tour de leur esprit, je ne sais quoi d’étranger, de suisse, de vaudois, dirai-je, faute d’autre mot. J’ai connu de sceptiques Parisiens qui, tombés par hasard au milieu de compatriotes protestans, s’y trouvaient tout dépaysés, n’ayant pas l’oreille faite à ce que l’on a plaisamment appelé le patois de Chanaan. Et cependant, quoique beaucoup d’entre eux nous soient aussi venus, ou revenus, d’au-delà du Rhin ou du Jura, nos protestans sont souvent d’aussi bon sang français que nos vieilles familles catholiques, et mal inspiré qui s’aviserait de soupçonner leur patriotisme. — Des presbytériens d’Irlande, ou des catholiques des Pays-Bas aux calvinistes de Hongrie, aux vaudois du Piémont, à tels raskolniks de Russie, on pourrait citer bien des exemples analogues. Alors qu’entre des chrétiens, de même race et de même pays, les différences de sectes ont pu créer ainsi des différences extérieures de ton, de manières, de tournure, comment le Juif, le sémite d’origine étrangère, tenu rigoureusement à l’écart des chrétiens, ne garderait-il point la marque de son isolement séculaire ? Ce que j’admire, ce n’est pas que, en tant de contrées, Israël forme encore, à la surface des nations chrétiennes, comme des flaques de population étrangère, c’est tout au rebours, que, en tant de pays, le Juif ait si vite réussi à s’assimiler à nous.

Dans les régions même où ils se sont le moins mêlés aux chrétiens, les mœurs des Juifs ont, plus qu’on ne l’imagine, subi l’influence des gentils du voisinage. À cet égard, il faut se défier d’une observation superficielle. Veut-on comparer le Juif et le chrétien, le Sémite et l’Aryen à deux corps chimiques, mis en présence, celui des deux qui entame l’autre le plus vite et le plus profondément, ce n’est pas le sémite, c’est l’aryen. Nulle part, là même où ils ont séjourné le plus longtemps et en plus grand nombre, les Juifs n’ont dénationalisé un peuple chrétien, témoin la Pologne, la Petite-Russie, la Hongrie. Au contraire, dans presque tous les États, les fils de Jacob ont ressenti l’action des gentils, prenant la langue, les usages, le costume de leurs voisins chrétiens, si bien qu’après des siècles d’exil, ils gardent souvent encore l’empreinte