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balances de la loi seront les mêmes pour eux que pour le chrétien, ils se nationaliseront vite. Ils auront pour le pays qui leur rendra une patrie, le sentiment des outlaws qui retrouvent un foyer. Par là même qu’il avait moins de raison d’être attaché à l’empire qui le chasse, le Juif a moins de peine à devenir Français, Anglais, Américain, que les immigrans chrétiens qui possédaient une patrie dont ils avaient le droit de se sentir les fils.

N’importe, juifs ou chrétiens, je ne trouverais pas mauvais qu’on ne mît point trop vite sur le même pied les natifs d’un pays et les nouveaux-venus du dehors, — les vieux Français de France et les néo-Français, les aspirans Français, fraîchement arrivés d’outre-monts ou d’outre-Rhin. De ces derniers, est-ce la peine de le dire, en ce triste hiver ? nous n’avons pas toujours à nous louer. Ce n’est point que je veuille faire obstacle à la naturalisation des étrangers. Dieu m’en garde ! Je sais trop que nos États modernes, qu’un État comme la France surtout, dont la population croît si lentement, ont un intérêt capital à naturaliser les étrangers et les fils d’étrangers. Mais encore, ne faudrait-il pas prodiguer, à ces naturalisés d’hier ou de demain, toutes les faveurs gouvernementales, les distinctions, les grâces, les emplois. Il serait bon que la préférence demeurât plutôt aux gens du pays, aux Français de France. Or, il faut bien le dire, en France, sous la troisième république, c’est souvent le contraire que nous avons vu. L’importance prise dans nos affaires par les étrangers a été un des traits et un des vices du régime des quinze dernières années. Sous ce rapport, les doléances de la France juive et des antisémites n’ont pas toujours été sans fondement, et cela même alimente l’antisémitisme. Il ne faut pas que ce soit un avantage, en France, d’être né à Hambourg ou à Francfort, ni que ce soit une recommandation, aux yeux du gouvernement français, d’avoir des frères ou des cousins à Berlin ou à Vienne, voire à Londres ou à New-York[1]. Il ne convient pas que les fils adoptifs soient préférés aux enfans de la maison, ni qu’à la table commune, les immigrés ou les fils d’immigrés aient la meilleure part et soient servis les premiers. Point de privilèges à rebours ! Nous avons vu, trop souvent, dans nos assemblées ou dans nos journaux, des nouveaux-venus d’outre-Rhin ou d’ailleurs, qui n’avaient pas toujours tiré au sort, catéchiser doctoralement les vieux Français

  1. De même, si les emplois publics doivent être accessibles à tous, il n’est pas bon que ce soit un titre à l’avancement et à la confiance du gouvernement d’être juif, ou d’être protestant. Or, c’est à cela qu’aboutit parfois la politique anticléricale ; la religion professée par la majorité des Français est devenue une cause de suspicion. C’est là un point sur lequel je compte, du reste, avoir l’occasion de revenir.