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sous le régime libéral et bienfaisant des traités de commerce. Que sera-ce sous le régime actuel ?

Envisagé en lui-même, cet état de choses est déjà fort alarmant ; mais, pour en apprécier la gravité, il importe de ne pas oublier que nos ports ne sont plus des ports francs ; qu’ils ne constituent pas des républiques isolées ; qu’ils ne sont pas seuls à bénéficier ou à souffrir d’une situation économique mal comprise. Marseille dans le mouvement général de la navigation représente le tiers environ du commerce maritime du pays tout entier, et à elle seule, elle fournit le sixième du produit des douanes françaises, douanes maritimes et douanes terrestres, douanes frontières et douanes intérieures réunies. Ne pas veiller à la prospérité des ports de commerce en général et de Marseille en particulier serait donc risquer de compromettre une des principales sources de richesse et d’influence que possède la France.


III

Le remède est tout trouvé en ce qui concerne le commerce franco-méditerranéen, et l’efficacité n’en est pas douteuse. Il n’est d’autre besoin pour lui restituer les avantages qu’il a perdus que de mettre, par un canal, Marseille en communication directe avec le Rhône. Alors cette ville ne sera pas seulement en mesure de rétablir l’ancienne suprématie de la France ; elle jouira désormais d’une sorte de privilège indestructible que ses rivales ne sauraient lui disputer. Quels sont, en effet, les ports méditerranéens qui peuvent se mettre en contact avec le réseau de navigation intérieure de l’Europe ? Ce n’est pas Salonique, qui a les Balkans derrière elle ; ni Trieste, avec les Alpes styriennes ; ni Gênes, adossée aux Apennins ; ni Barcelone, bloquée par les Pyrénées ; et si Venise songeait à profiter du voisinage du Pô, le cours de ce fleuve est trop irrégulier pour se prêter à une circulation qui ne soit purement locale. Les uns et les autres pourront, s’il leur plaît, construire de nouvelles lignes de chemin de fer ; ils seront tous impuissans à créer une voie navigable. C’est-à-dire qu’il leur faut renoncer à l’incontestable supériorité que procure un semblable moyen de communication, tandis qu’il dépend de la France de s’en assurer le bénéfice. Car Marseille est le seul port qui puisse, par sa jonction avec le Rhône amélioré, se mettre en relations constantes avec tous les canaux et rivières de l’Europe.

D’ailleurs, l’importance capitale du Rhône n’a jamais été méconnue. Le premier des géographes, Strabon, signalait que les bateaux lourdement chargés pouvaient remonter le Rhône, la Saône et le Doubs pour déposer sur les bords de cette rivière des