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III

Pendant l’année qui suivit les trouvailles de l’acropole mycénienne, il était amusant d’observer les attitudes que prenaient, lorsqu’on les consultait sur la nouveauté du jour, les archéologues les plus autorisés ; elles variaient suivant les caractères. Ces trouvailles avaient vivement piqué ma curiosité ; mais je n’avais pas vu les objets ; nous n’en possédions que des descriptions très incomplètes. Je cherchais donc, de toute manière, à me renseigner. J’écrivais à Athènes pour savoir quelle avait été l’impression des quelques privilégiés auxquels avaient été montrées les pièces principales du trésor, qui étaient déposées à la Banque, en attendant que les vitrines fussent prêtes au musée, des vitrines où ces trésors fussent protégés contre les convoitises des voleurs par des verres épais et par de fortes serrures. Je dévorais tous les articles qui paraissaient dans les gazettes que Schliemann honorait de ses confidences, et j’étais arrêté à chaque instant par les contradictions que j’y relevais. Je m’adressais à tous ceux qui me semblaient mieux placés que moi pour saisir le mot de l’énigme, soit qu’ils habitassent la Grèce ou qu’ils en revinssent, soit qu’ils eussent cette longue pratique des monumens qui suggère des rapprochemens imprévus ; mais j’avais affaire surtout au groupe des prudens, de ceux qui, désorientés par la physionomie bizarre de toute cette orfèvrerie et de toute cette céramique mycénienne, redoutaient de se compromettre en donnant les premiers leur avis. Le directeur de l’École française d’Athènes, Albert Dumont, était de cette humeur. Presque par chaque courrier, je l’accablais, je le fatiguais de mes interrogations ; il me répondait en m’envoyant, sur quelques-uns des morceaux de la collection, des détails précis qui m’intéressaient fort ; mais il ne me disait rien de l’âge probable des objets et du caractère de cet art, des affinités qui pouvaient le rattacher à tel ou tel autre art déjà connu et classé.

Cette réserve n’avait rien que de très naturel chez Albert Dumont, alors jeune encore, presque un débutant ; on avait plus de peine à s’y résigner quand on la rencontrait chez les maîtres de la science. Je me souviens d’une séance de l’Académie des inscriptions, en juillet 1877, où Schliemann était venu nous entretenir, avec pièces à l’appui, du résultat de ses fouilles. Quand il eut terminé, je demandai à Longpérier ce qu’il pensait de tout cela. Il me répondit à mi-voix, me signalant les analogies qui le frappaient entre l’ornementation de Mycènes et celle des objets que certains