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jusqu’à ce que le dernier Allemand ait été chassé. C’est là le seul remède, le vrai spécifique ; les palliatifs ne feront qu’empirer le mal et finiront par le rendre incurable. » Il disait aussi : « Le système de l’Europe n’est pas fait, et pour le faire, il faut se battre… Il y a de belles machines et de beaux troubles dans l’air, delle macchine e belli torbidi. » C’est un mot de brouillon, qui sème le vent pour récolter la tempête. « Stanhope, écrivait-il encore le 10 octobre 1718, a dit à Paris qu’avec le gouvernement qu’il a trouvé en Espagne et trois ans de repos, j’aurais mis l’Europe sens dessus dessous. » C’était bien son intention, mais il n’a pas su attendre ; la patience lui a manqué, et il n’a pas assez soigné ses semailles. Plus tard, quand son échec fut certain, et qu’il se vit dans de mauvais draps, il s’en prit à son roi, qui avait méprisé ses conseils, et aux insondables décrets du souverain moteur, c’est toujours à lui que s’en prennent les imprudens et les étourdis.

En somme, les six cents lettres publiées par M. Bourgeois n’ajoutent rien à la gloire d’Alberoni, mais elles le font bien connaître. Il y apparaît comme un vrai Parmesan, à l’esprit vif, ardent et souple, dont la prodigieuse industrie et l’indomptable activité épouvantaient l’indolence des Espagnols : « Vous autres Italiens, disaient-ils, vous seriez capables de faire crever de fatigue tout le genre humain. » Mais il a manqué quelque chose à cet homme si actif, et l’histoire le classera toujours parmi les personnages de second plan, qui appelés par un concours extraordinaire de circonstances à jouer les premiers rôles, s’y sont montrés insuffisans. Ce fut moins sa faute que celle de sa destinée, de sa jeunesse et de l’éducation que lui avait donné la vie. À l’âge où l’homme se forme, il avait contracté des habitudes, des plis de caractère et d’esprit dont il n’a jamais pu se défaire.

Comme l’a dit M. Bourgeois dans son Introduction, attaché par les Farnèse à la personne de Vendôme, Alberoni correspondait secrètement avec les ministres du duc de Parme, recevait d’eux des instructions et des présens pour gagner l’amitié des Français et rendait compte de tout. « C’était un entourage mêlé que celui de Vendôme, composé d’officiers gourmands, de traitans qui s’enrichissaient au service des armées et de gens de lettres. Les soirées que ce monde passait à table, dans l’intervalle des batailles, étaient employées à des débauches d’esprit et de bonne chère. Gai, la mine et l’intelligence éveillées, le teint frais, l’humeur facile, l’envoyé de Parme y apportait sa part de friandises et d’esprit. Il paraissait lié particulièrement avec les commissaires des vivres, gros personnages et bons vivans, dont il facilitait la tâche en pays étranger. » On lui avait ordonné de s’introduire à tout prix dans la familiarité de Vendôme, de se faire initier par lui à ses desseins, de se tenir à l’affût des nouvelles et de faire