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et une impropriété de langage. Le clergé élu d’abord, le clergé célibataire ensuite, signes différens, mais également sensibles que le christianisme n’a plus voulu de temple, mais une église, n’a plus voulu de caste sacerdotale, mais un clergé. — Voilà les différences essentielles, au point de vue social, entre les religions antiques, l’hébraïsme compris et les religions modernes ; voilà en quoi le christianisme, même dans son principe et dès ses commencemens, est profondément démocratique. À la vérité, il reste encore, non pas une caste, mais une classe d’initiateurs et une classe d’initiés, mais celles-ci, sinon confondues, du moins tellement voisines l’une de l’autre, et l’une se recrutant elle-même et se puisant si continuellement dans l’autre, que la distance qui séparait autrefois ceux qui recevaient la religion de ceux qui la dispensaient a pour ainsi dire disparu. Une pareille religion introduite dans le monde, c’est une première démocratie qui en annonce, qui en promet et qui en prépare une plus complète.

Mais elle n’est pas évolutive, et ce progrès qu’elle a réalisé sur les religions antiques, c’est tout le progrès qu’elle peut admettre ; elle n’est point, pour se plier aux nouvelles idées, ni aux nouvelles mœurs ; elle n’est point pour s’accommoder d’interprétations nouvelles ou de tempéramens ; elle est fixée dans ses dogmes et arrêtée dans ses traditions ; tout penseur nouveau lui est un adversaire, et, comme a dit Bossuet, « l’hérétique est celui qui a une opinion. » Comment concilierez-vous le christianisme avec les idées modernes que vous adoptez et qu’il ne peut admettre, par cette seule raison, indiscutable pour lui, qu’il ne les a pas annoncées ?

Ici, Ballanche franchit le pas. Il le franchit sans audace et sans jactance ; il le franchit en ayant l’air de le contourner ; il le franchit sans presque s’en apercevoir ; mais il le franchit ; il rompt avec les « prophètes du passé, » avec Bonald, avec de Maistre. Il dit d’eux : « L’époque récente, que l’on peut trouver analogue au retour d’Esdras, a été marquée par l’apparition d’une haute philosophie religieuse… Malheureusement, elle s’est revêtue de formes réactionnaires et imprimait un mouvement de rétroactivité. » — Enfin, il dit presque nettement que le christianisme n’a pas été évolutif jusqu’à nos jours, mais qu’il doit le devenir. La religion doit être progressive comme tout au monde. Elle a, comme la société, ses momens de repos, d’établissement ferme dans une doctrine, dans une résistance ou dans un triomphe ; mais elle doit avoir, et elle a, quoi qu’elle lasse, ses périodes de renouvellement, de renaissance, de palingénésie. On n’est pas hérétique pour parler ainsi ; car à des hommes bornés Dieu ne peut donner sa parole que successivement, selon leur capacité de comprendre et selon leur progrès