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moraliste, mais d’homme de théâtre seulement, et qui commence ainsi : « Aujourd’hui, si vous le voulez bien, nous parlerons métier. » D’où l’on peut conclure que cette comédie, agréable plutôt que nécessaire dans l’ensemble de l’œuvre de M. Dumas, cette comédie pour ainsi dire hors cadre, sinon hors ligne, est en un sens aussi peu que possible de M. Dumas fils. Dans un autre sens pourtant, elle est bien de lui. Le fils, et le fils surtout l’a écrite, et par elle a voulu rendre un hommage indulgent et tendre à un père qui fut entre tous prodigue, et prodigue de tout : d’esprit, d’argent et de cœur.

L’œuvre ne discute et ne résout pas de problème ; elle étudie un caractère. Le comte Fernand de La Rivonnière a cinquante ans sonnés, mais sonnés sans qu’il les ait entendus. À vingt-cinq ans, resté veuf, riche et libre, avec un enfant, il a mené joyeuse vie, et à cette vie, aussitôt que possible, il a eu le tort d’associer son fils. Il s’est fait l’ami d’André, ce qui est très bien, et, ce qui l’est moins, son camarade. De cette camaraderie les conséquences ont été celles-ci : à eux deux, le père et le fils ont mangé, l’un sa fortune entière, l’autre la sienne à moitié. Délicatement et sans en rien dire, André partage avec son père la moitié qui lui reste et dont ils pourront vivre encore aisément, à la condition de se ranger et de se réduire. Le comte ne demande pas mieux. Il a justement résolu de faire une fin, mais une fin de jeune homme. Il s’est mis en tête, en sa tête grise et légère, d’épouser les dix-huit ans d’Hélène de Brignac, et il charge son fils de la négociation. Heureusement, et à temps, il s’aperçoit qu’il a trois fois l’âge de cette enfant, qu’elle aime son fils, que son fils l’aime, et c’est pour André qu’il demande, avec un joli mouvement de générosité et de tendresse paternelle, la petite main qu’il avait prié follement André de demander pour lui.

Le voilà maintenant le plus charmant, le plus adorable des pères et des beaux-pères, installé en tiers entre les jeunes époux. Il fait pour eux mille folies, pour elle surtout, dont il raffole et qu’il ne quitte plus. Si par hasard André s’absente, il promène sa belle-fille, la conduit au bal, au spectacle, la distrait de son mieux, enfin, comme il le dit lui-même, il égaie les entr’actes. Il les égaie si bien, que le sérieux André commence à en éprouver sinon de l’inquiétude, au moins un peu d’agacement et d’ennui. Sans compter que le monde glose, avec malice d’abord, bientôt avec méchanceté. De vilains propos rapportés au comte l’affligent et le blessent. Essayez, lui dit-on, essayez d’annoncer à votre fils que vous partez pour un long voyage, et vous verrez quel soulagement il en éprouvera. Le comte essaie en effet, et surprenant sur le visage d’André une joie mal déguisée : « Ah ! soupire-t-il avec des larmes dans les yeux, mon fils ne m’aime plus. »

Il ne part pas cependant, et c’est le jeune ménage qui part pour