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sourire les locataires actuels de nos grandes chasses des environs de Paris : les 42 hectares de garenne de l’évêque de Troyes sont loués 120 francs en 1613 ; pour 12 francs par tête et par an le sieur de Durfort permet aux seigneurs de son voisinage de tirer les lapins, en Beauce, dans sa forêt de Cormainville (1628). Un édit forestier de Louis XIV défendit, sous les peines les plus sérieuses, aux paysans et roturiers de quelque condition qu’ils fussent, de chasser, même sur leur propre bien. En revanche, le seigneur put chasser partout, sauf depuis le 1 er mai jusqu’à la récolte, et nul ne put enclore, fût-ce quelques arpens de pré ou de vigne, sans lui en donner les clés.

Le monopole finit par pousser de telles racines, que les gentilshommes les plus philanthropes le regardaient, au XVIIIe siècle, comme très naturel, et se figuraient sincèrement qu’il avait toujours existé. Les vassaux, eux, ne s’étaient pas habitués à ce privilège, et l’on sait de quelles âpres réclamations il fut l’objet dans les cahiers de 1789 : « S’il arrive, en temps d’hiver, dit la commune de Berrieux (Aisne), dans ses doléances, qu’un pauvre homme ait le malheur de tuer un corbeau, on le punit rigoureusement… Et en tout temps, nous voyons les domestiques de notre château se promener dans tous nos grains avec nombre de chiens, au grand préjudice de la paroisse ! » Ces plaintes sont alors monnaie courante. Sous Louis XV (1737), dans les parcs de Versailles et autres chasses royales, on semait du sarrasin et de l’orge uniquement pour la nourriture du gibier ; mais cette pratique onéreuse, généralisée de nos jours dans tous les tirés de luxe, répugnait à la bourse des privilégiés qui prétendaient à un plaisir gratuit ; aussi les cultivateurs ne cessent-ils de déplorer l’abondance des lapins qui, à Veneville (Seine-Inférieure) « mangent le tiers de la récolte, » qui ailleurs « ruinent tout le canton. » Partout l’abus moderne du droit de chasse est devenu insupportable.

Les protestations analogues qui s’étaient fait entendre, depuis des siècles, contre des droits terriens bien autrement profitables au seigneur, bien autrement onéreux aux vassaux, avaient toutes reçu satisfaction dans une mesure assez large ; il est singulier que, sur ce chapitre, la noblesse se soit montrée intraitable, plus soucieuse de ce seul plaisir que de ses plus gros intérêts.

Dans ces innombrables procès que les tribunaux ont chaque jour à juger, sous l’ancien régime, et que suscite le règlement de litiges soulevés par l’application des vieilles clauses féodales, il est apporté sans cesse, devant les présidiaux et les parlemens, des transactions du XIIIe au XVe siècle. La comparaison de ces pièces entre elles fait voir les charges primitives fondant peu à peu comme la neige au soleil. Des tenanciers plaidant, en 1670, contre leur