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au XVIIe siècle, mentionne que « l’acheteur a ouvert les portes et les fenêtres, qu’il y a fait feu et fumée, qu’il y a bu et mangé, que, dans le jardin, il a bêché, creusé, coupé et planté du bois, et que, rentré dans la maison, il en a fait sortir l’ancien propriétaire. » De pareils usages survivent en Bretagne jusqu’en 1785. Et ce n’est pas l’ancienne investiture féodale par la branche d’arbres, la paille, la motte de terre ou de gazon, dont ces procédés rappellent le souvenir ; c’est l’ombrageuse incertitude, où les subtilités accumulées du droit mettent le possesseur actuel, qui le pousse à multiplier ses sûretés, sous cette forme symbolique. Des actes passés sous Louis XV en Vendômois, en Poitou, en Angoumois, nous montrent le nouveau maître rompant, à coups de sabre, les haies servant de clôture, cassant des branches, taillant des vignes, remuant des pierres, « en déclarant à haute voix, à toutes personnes présentes, qu’il fait le tout à titre de bon et légitime possesseur. » Le plus curieux est qu’il n’y a pas plus de cinquante ans, en 1840, — telle est la force de la coutume, — un huissier d’Elbeuf, en Normandie, rédigeait encore un procès-verbal en ces termes : « J’ai déclaré prendre possession par la culture que j’ai faite avec une bêche en divers endroits, par l’enlèvement de petites branches, et par la casse de plusieurs briques dans le logement. »

La distinction fondamentale entre la rente des immeubles aux temps modernes et au moyen âge, entre le bail à cens et le bail à ferme, c’est que, par l’accensement, le propriétaire vendait son bien à l’exploitant, ou, s’il s’agissait d’une maison, à l’occupant, moyennant une redevance directe, et quelques profits éventuels ou indirects, appelés « droits féodaux, » tandis que, par le ter-mage ou la location, il prêtait seulement ce bien, comme de nos jours. Je ne prétends pas d’ailleurs qu’il n’y ait pas eu de fermage avant le XVIe, ou même avant le XIVe siècle ; je n’affirme pas davantage que l’on ne trouverait pas de contrats censuels depuis le XVIIe siècle. L’une et l’autre de ces assertions seraient absurdes, la première plus encore que la seconde. Non-seulement il existe, dès le règne de saint Louis et sans doute auparavant, nombre de simples baux dont les clauses sont semblables à celles d’aujourd’hui, où le fermier sortant est obligé par exemple de laisser les pailles et les foins à son successeur, mais ces baux sont parfois même assez courts. Il en est, en 1340, d’une durée « de neuf ans et neuf cueillettes. »

D’autre part, on trouve des baux à cens sous Louis XIII, sous Louis XV, jusqu’à la fin de la monarchie, et ils sont grevés d’obligations semblables à celles du moyen âge : « Défense de mettre les lieux arrentés en mainmorte, ni forte, ni autre privilégiée ; ..