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deux causes ensemble. Dans les pays riches, les locations étaient déjà beaucoup moins longues : en Flandre, au XVIe siècle, elles n’excédaient pas douze ans en général ; et au XVIIIe, dans tout le Nord, elles sont réduites à six et neuf ans. Aussi se plaint-on qu’elles soient trop courtes. Les agronomes du temps se répandent là-dessus en lamentations tout aussi bien que ceux de nos jours.


IV

Parti d’un abandon éternel et irrévocable, — le cens, — réduit à un siècle, — l’emphytéose, — puis à une ou deux générations, enfin à vingt ou vingt-cinq ans, le colonage est venu de lui-même à sa brièveté moderne, compagne habituelle de la civilisation. Les doléances des prôneurs de la société patriarcale n’y ont rien fait et n’y feront rien, à moins que ces bons apôtres ne rétablissent la vie patriarcale, c’est-à-dire la vie à demi sauvage : des champs déserts, piquetés de rares laboureurs.

Et la raison en est fort simple : avec le système des baux éternels ou même des très longs baux, le fermier devient, beaucoup plus que de nos jours, intéressé à l’amélioration de la terre, mais le propriétaire y devient beaucoup plus indifférent. C’est le fermier qui passe propriétaire. Au cours du bail la situation de ce fermier change : ou il se ruine et il disparaît, ou il s’enrichit et il disparaît aussi ; parce que ses ambitions augmentent avec sa fortune, qu’il réalise ses profits au bout d’une ou deux générations, et entre dans une autre catégorie sociale. Comme le « laboureur » n’est pas, dans le genre humain, une « espèce » immuable, semblable à ce qu’est le cheval ou le taureau dans le genre animal, qui ne peut se reproduire que sous la forme cheval ou taureau, le fils du riche fermier qui aurait fait un bail de cent ans transmettrait à un cultivateur pauvre la terre qu’il a en location héréditaire, de même que le propriétaire assez riche pour ne pas cultiver lui-même loue le fonds dont il a la propriété. C’est là ce qui s’est passé pendant six siècles, dans une société en apparence sévèrement partagée en cases fermées ; et il est impossible qu’il en soit autrement.

Comme on peut aussi le supposer, à mesure que le revenu de la terre augmente, que la terre est plus demandée, les prétentions du propriétaire haussent. Sa part dans le produit net du sol devient plus grande. Il prend le plus qu’il peut, ce qui est assez naturel, et, ce qui ne l’est pas moins, l’exploitant, qui ne dispose désormais que d’une marge plus restreinte pour vivre et faire face à ses frais de culture, se fait prier pour financer. Il a souscrit, il a proposé même, pour obtenir le bail, un fermage assez onéreux ;