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nouveaux désastres qui avaient pu, depuis la veille, compromettre encore plus qu’auparavant l’équilibre déjà si douteux de la vieille basilique. Mais nous eûmes, je dois le dire, bien honte de notre velléité d’orgueil, quand nous trouvâmes, à l’intérieur de la salle du dôme, un enfant d’une dizaine d’années, dormant, avec une tranquillité parfaite au pied du mur le plus menacé de ruine, et cela malgré les arrêtés de police, aussi platoniques que formels, pris à cet égard par les autorités russes. Pendant ce temps, une nuée de corbeaux que nous avions dérangés tournoyait lentement au-dessus de nos têtes, dans la large ouverture éclairée par le ciel bleu. Inclinant alternativement la tête à droite et à gauche, pour nous regarder tantôt d’un œil, tantôt de l’autre, d’un air plus mécontent que respectueux, ils protestaient, par des cris assourdis-sans, contre l’envahissement de leur domaine. Notre visite terminée, nous sortîmes un peu moins fiers que nous n’étions entrés. L’Orient musulman est une grande école de morale.

La Biby-Khaneh, qui, jusqu’à une époque récente, a servi de mosquée, fut construite à la fin du XIVe siècle par la reine Biby, qui voulait, s’il faut en croire la tradition, y placer plus tard son tombeau. Le monument, une fois terminé, excita à tel point, dit-on, l’admiration de Timour[1], que la sultane, quelque sûre qu’elle fut de l’affection du conquérant et du prestige qu’elle exerçait sur lui, jugea prudent de renoncer à son projet primitif et de faire à son impérial époux hommage du monument pour qu’il fût affecté à un autre usage. Elle se serait fait alors construire, comme lieu de sépulture pour elle et aussi, s’il faut en croire certains historiographes, pour ses compagnes, un autre mausolée, infiniment moindre et plus modeste, que l’on nomme aujourd’hui la Petite Biby-Khaneh, et qui est situé vis-à-vis du grand monument, de l’autre côté de la place où se tient le marché.

Les murs de la Biby-Khaneh ne sont pas revêtus d’une cuirasse d’émail aussi complète et aussi variée que celle qui couvre certains autres monumens de Samarkande, d’une époque plus moderne. L’ornementation en est plus sobre. Elle consiste en dessins divers figurés en relief sur le parement par l’agencement de l’appareil de la maçonnerie même, et en mosaïques formées de briques émaillées toujours monochromes, dont les couleurs se réduisent à trois : le bleu turquoise, le bleu foncé et le blanc. Les briques ainsi colorées composent, par leur juxtaposition dans les parois, des inscriptions

  1. Tamerlan, on le sait, n’est que la transcription française et altérée de Timour-Lenk (Timour le Boiteux), nom et surnom du grand conquérant. — « Le grand Timour n’était pas beau : il avait un œil de moins et un pied de fer. » Ainsi s’exprime nettement Nassr-ed-din-Khodja, son bouffon ordinaire, dans l’ouvrage qui nous est resté sous son nom.