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mollahs, et qui de son temps était déjà la même qu’aujourd’hui, c’est-à-dire aussi sommaire. Il prescrivit à un esclave de descendre au fond du puits pour constater ce qu’il en était. J’avoue que, n’ayant pas très bien compris, pour ma part, malgré toute ma déférence la plus respectueusement aveugle, l’explication des mollahs, je fus flatté et réhabilité dans ma propre estime en voyant que l’imperfection de mon intellect philosophique était en somme partagée par un esprit aussi éminent que celui de l’illustre conquérant. Il est vrai que Tamerlan ne vivait pas au XIXe siècle et que s’il y eût vécu, il eût probablement été plus avancé dans la solution de la question ; à moins toutefois qu’il n’eût imité l’indifférence des conquérans russes, qui n’ont pas même pris la peine de renouveler l’expérience tentée six siècles auparavant. Timour fit donc descendre au fond du puits un esclave. Celui-ci ne s’y décida pas volontiers et il fallut pour cela que l’empereur lui donnât le choix entre une obéissance immédiate et un supplice non moins prompt. On sait qu’en cette dernière matière Timour était homme de parole et fort expédiât ; aussi comprend-on que le scrupule religieux de l’esclave ait cédé à sa confiance dans la haute justice du monarque. L’envoyé remonta, paraît-il, en donnant les marques d’une terreur indescriptible, et dans un état de mutisme tellement absolu qu’une nouvelle menace de Timour, non moins catégorique que la première, fut le seul remède qui pût momentanément lui rendre la parole. Pressé de questions, il déclara qu’il s’était en effet trouvé en présence du saint, et que celui-ci, après lui avoir reproché de venir le troubler dans son repos, lui avait enjoint de remonter immédiatement, en ajoutant qu’il serait frappé de mutisme pour toute sa vie, s’il disait un seul mot de ce qu’il avait vu. Et c’est en effet ce qui eut lieu séance tenante : l’esclave devint muet après ces quelques mots et il fut impossible depuis lors de lui en arracher un seul de plus jusqu’à sa mort, ou peut-être jusqu’à celle de Timour, si nous supposons que celle-ci soit survenue la première, ce qui est encore un point d’histoire mal éclairci de nos jours.

Quoi qu’il en soit, Tamerlan déclara l’expérience suffisante ; il adressa force excuses à son bienheureux confrère, il fit au tombeau l’offrande d’une dotation magnifique, interdit à qui que ce fut de jamais violer le domicile du saint sous les peines temporelles les plus sévères et, pour plus de sûreté à cet égard, il fit murer l’entrée du puits par la grille que l’on voit encore aujourd’hui.

Il augmenta, en outre, les constructions qui existaient alors et qui probablement se réduisaient à une seule mosquée, en y adjoignant les autres chapelles environnantes, et il fit enterrer dans