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VII. — L’OURDOU.

C’est à regret que l’on s’arrache à la visite des mosquées et des mausolées de Samarkande, si fertiles en souvenirs et qui laissent à ceux qui ont eu la bonne fortune de les contempler une ineffaçable impression. Mais les monumens religieux ne sont pas les seuls qui éveillent des images pittoresques ou glorieuses et qui méritent de fixer l’attention.

La vieille citadelle, appelée Ourdou et aussi Ark, dénomination qu’il est difficile de ne pas rapprocher de l’ancien mot Arx de notre antiquité classique, occupe le sommet d’une colline entièrement nue, située entre la vieille citée de Samarkande et la nouvelle ville russe. Un ravin profond et escarpé l’isole de deux côtés. Son architecture extérieure ne présente rien d’intéressant, d’autant plus que ses remparts de terre ont été remaniés par les Russes et à peu près rasés pour être appropriés aux exigences de la fortification européenne d’aujourd’hui. Les bâtimens s’élèvent à peine au-dessus du sol environnant, et ils n’ont rien de remarquable. Ce qui s’y trouve de plus curieux, c’est, à l’intérieur, le kok-tach ou « pierre verte, » énorme monolithe que l’on y conserve encore actuellement et qui y est gardé depuis des siècles comme une sorte de palladium. On l’appelle aussi le Trône de Tamerlan. C’est sur cette pierre que se sont fait couronner tous les princes de la famille des Timourides, c’est-à-dire tous les souverains de Samarkande et de Boukhara jusqu’à l’émir actuel, Saïd-Abdoul-Akhad, qui règne aujourd’hui sur le royaume, dernier reste du vaste empire mongol, dont cette dernière ville est la capitale. Pour le couronnement du souverain actuel, qui est monté sur le trône de Boukhara depuis six ans seulement, c’est-à-dire depuis que Samarkande est aux Russes, ceux-ci n’ont pas jugé pouvoir, malgré tous leurs égards pour leur allié, lui permettre de venir en souverain se faire couronner à Samarkande, qui n’appartenait plus aux princes de sa race. On aurait bien pu essayer de lui envoyer pour la circonstance le trône de pierre : peut-être l’aurait-on fait s’il eût été un peu moins pesant. Mais le transport d’un pareil colis sur une distance de 300 kilomètres présentait, parait-il, des difficultés à*peu près insurmontables. Aussi s’est-on borné de préférence à donner à l’émir l’autorisation d’envoyer à Samarkande un coussin qui a été posé sur le kok-tach et qui lui a ensuite été renvoyé pour lui servir de siège dans la cérémonie de son couronnement. C’est aussi sur le kok-tach que l’on tranchait la tête à tous ceux des