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mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est une frise d’albâtre où sont ciselés les motifs chers à l’art mycénien. Insérés dans des trous faits à leur mesure, de petits morceaux d’une pâte de verre bleu tranchaient sur le ton laiteux de la pierre ; des disques de ce verre formaient l’œil des spirales et le cœur des rosaces ; des cubes de la même substance composaient les bordures. Dans les tombes, on a recueilli, en grande quantité, des plaques de ce même verre opaque dont les unes, munies d’appendices tubulaires, ont pu être cousues sur les vêtemens, tandis que les plus grandes auraient été appliquées sur des cercueils ou sur des meubles. Il est question, dans l’Odyssée, d’une bande de kyanos qui régnait tout autour de la pièce principale du palais d’Alcinoos. C’était l’acier, l’acier bleuâtre que les commentateurs avaient voulu voir dans le kyanos ; ils avaient négligé de tenir compte d’un texte de Théophraste qui donnait le vrai sens de ce mot. Le doute n’est plus permis aujourd’hui ; c’est bien l’azur de cet émail qui brillait, à côté des métaux précieux, dans la demeure royale que l’imagination du poète s’était complu à doter de la parure la plus somptueuse. Le métal offrait plus de ressources encore que cette matière fragile. Battu au marteau, en feuilles minces, qui se laissaient aisément plier et découper, le métal donnait des revêtemens et des pièces d’applique qui avaient à la fois le mérite de l’éclat et celui d’une extrême solidité. On ne l’a pas rencontré dans les ruines des palais ; c’est qu’il ne reste guère de ces édifices que des murs en moellons et en briques crues, matériaux qui, pour dissimuler leur insuffisance, appellent plutôt l’emploi du crépi. Pour mesurer l’importance des services que l’architecte demandait au métal, il faut s’adresser aux tombes à coupole, qui sont bâties en grand appareil ; là, autour des portes et dans l’intérieur du dôme, on voit encore la trace des clous, au moyen desquels des rosaces et d’autres ornemens étaient attachés à la pierre. Dans la maison, le bois seul se prêtait à l’apposition du métal ; aux portes, celui-ci garnissait la poutre du seuil et celle du linteau, les madriers qui formaient les pieds-droits, les planches épaisses des vantaux ; les lambris des salles pouvaient être couverts de même façon. Dans ce concert, chaque métal donnait sa note, sombre ou gaie, et de ces contrastes il se dégageait une harmonie dont Homère sent tout le charme, quand il décrit ainsi le palais du roi des Phéaciens :

C’étaient comme les rayons du soleil ou ceux de la lune qui brillaient
Dans la haute maison du magnanime Alcinoos.