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n’est pas un ouvrier égyptien ou phénicien qui a ciselé ces figures d’un mouvement si hardi et d’un réalisme si franc. Le nombre est bien petit des pièces que l’on peut, en toute assurance, désigner comme des articles d’importation, et elles sont de minime importance en comparaison de celles où l’artiste mycénien, j’allais dire l’artiste grec, a mis sa marque.


V

Arrivé au terme de cette étude, nous nous demandons si nous aurons réussi, sans le secours de ces images qui auraient été plus éloquentes que toutes nos descriptions, à faire partager au lecteur l’impression que nous avons éprouvée quand nous avons jadis entrepris de comprendre et d’apprécier les découvertes de Schliemann, impression qui est devenue bien plus forte encore lorsqu’il nous a été donné de visiter avec lui les divers théâtres de ses fouilles, puis de manier et de contempler longuement son butin, tous ces objets qui nous avaient paru si singuliers que nous étions presque tenté de douter qu’ils existassent, alors même que nous en avions les photographies sous les yeux. Là, occupé à suivre, avec M. Doerpfeld, sur le roc de Tirynthe et sur celui de Mycènes, la trace partout encore visible des dispositions qu’il a relevées avec tant de soin, et, quelques jours après, penché curieusement sur les tranchées de Troie, je sentais tous ces noms des vieilles cités et des héros qui passaient pour les avoir bâties ou détruites prendre pour moi un sens et comme une solidité que rien ne m’avait préparé jusqu’alors à leur prêter. Il me semblait que je reconquérais sur l’oubli, au nom de cette Grèce que l’on a beaucoup trop rajeunie, huit siècles, dix siècles peut-être, pendant lesquels son enfance préludait déjà, par un lent et laborieux apprentissage, aux œuvres qui devaient illustrer sa jeunesse et sa maturité, huit ou dix siècles qui ont presque leur histoire, puisque, s’ils ne nous ont pas laissé de documens écrits qui nous en racontent les événemens, ils nous ont transmis les monumens d’un art qui est déjà assez avancé pour que l’on y devine comment l’âme des fils de cette race d’élite était affectée dès lors par le spectacle de la nature et quelle idée elle se faisait de la beauté.

À recueillir ainsi les témoignages que rendent, dès qu’on sait les interroger, tous ces objets où la main de l’homme a apposé l’empreinte d’une pensée et d’une volonté, mon oreille se faisait plus fine ; dans les récits du chanteur épique et dans le