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veler, » que c’était un devoir de donner « à la démocratie française, la garantie d’un changement de système. » — Et ce sentiment, il l’a résumé dans un ordre du jour par lequel la chambre se déclare « résolue à empêcher le retour de pratiques gouvernementales qu’elle réprouve. » Qu’est-il arrivé ? L’ordre du jour a visiblement surpris d’abord quelques députés, surtout ceux qu’il allait frapper et qui n’ont rien dit ; il a fini par rallier l’unanimité de la chambre. On ne s’en est pas tenu là : dans un bel élan de zèle et de vertu, on a voté l’affichage des déclarations de M. Cavaignac dans toutes les communes de France. Voilà qui est au mieux ! les trente-six mille communes françaises ont pu lire sur leurs murs l’éclatant et sévère désaveu des « pratiques » de deux anciens présidens du conseil !

Et maintenant que c’est fait, que l’ordre du jour de M. Cavaignac a été accepté et affiché, que la chambre s’y est associée d’un vote unanime, que le gouvernement lui-même, quoiqu’un peu embarrassé au premier moment, s’y est rallié, quelle est la portée pratique de cette manifestation ? Où peut-elle conduire ? Estelle même acceptée dans son vrai sens et dans ses conséquences ? C’est ici que recommence la comédie des partis. Les radicaux, qui n’ont pas osé voter contre la vertu, n’ont pas tardé à se raviser, — et ils n’ont pas mis vingt-quatre heures à maudire celui qui les a conduits dans ce guêpier, à essayer de se ressaisir.

Quoi donc ? un vote d’unanimité, un vote qui réunit la droite et la gauche, un vote qui désavoue quelques-uns des plus crians abus de la politique républicaine, est-ce possible ? On ne s’est évidemment pas entendu, la chambre n’a pas su ce qu’elle faisait ! Ce n’est qu’une surprise, une équivoque, — à moins que ce ne soit une trahison, le résultat d’un complot machiavélique entre M. Cavaignac et les modérés ! Et les radicaux se sont remis aussitôt en campagne, à la recherche de quelque moyen d’annuler l’effet de ce vote du 8 février. Ils cherchent encore. Ils n’ont trouvé jusqu’ici rien de mieux qu’un projet d’interpellation pour forcer le gouvernement à s’expliquer encore une fois, à désavouer toute alliance avec les modérés, à relever le drapeau de la concentration républicaine. Cette interpellation, elle viendra sans doute après le carnaval, — pour le mercredi des cendres : la question reste ouverte ! — Il faut, dit-on, dissiper l’équivoque du 8 février et éclaircir la situation parlementaire ; mais où donc est l’équivoque ? Rien de plus clair, au contraire, que le discours de M. Cavaignac et cet ordre du jour qui disent nettement ce qu’ils veulent dire, qui « réprouvent » sans subterfuges des « pratiques » suspectes, qui déclarent qu’on doit « changer de système. » C’est justement ce que craignent les radicaux, parce qu’ils se sentent atteints dans la prépondérance factice et abusive qu’ils ont exercée jusqu’ici sur tous les ministères,