Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cerdon, qui ne s’offense pas pour si peu, dira tout à l’heure à celle qui le traite ainsi : « Tu as, non pas une langue, mais un filtre d’où distille le plaisir. » Et il ose ajouter : « Ah ! cet homme-là est bien près des dieux, qui peut presser jour et nuit tes lèvres ! » Il réussit à lui essayer et à lui vendre les sandales dont elle vient de lui demander le prix ; sandales merveilleuses et enviées, pour lesquelles la joueuse de lyre Évétéris le supplie chaque jour d’accepter 5 statères (à peu près 100 francs), mais qu’il lui refuse parce qu’il lui en veut de dire du mal de sa femme. En faveur de Métro, il les donnera pour 3 dariques (somme un peu moins forte). Un dernier compliment enlève l’affaire : les sandales vont aussi bien que si Athéné elle-même les avait taillées ; « tout ce qui est beau sied aux belles. »

Cerdon n’est pas aussi aimable pour toutes ses clientes. Sa galanterie sait choisir. « Toi aussi, dit-il à une autre, donne ton pied. Quel sabot rugueux ! C’est le pied d’un bœuf de travail. » Ces derniers mots sont un a parte. Il s’empresse d’affirmer bien haut, en jurant par son foyer, que, si un tranchet bien aiguisé avait coupé le cuir sur l’empreinte de ce pied, la chaussure qu’il essaie ne s’y adapterait pas aussi juste. Une femme se met à rire : il lui envoie cette apostrophe peu galante : « Et toi, donneras-tu de cette paire 7 dariques, toi qui, près de la porte, ricanes plus fort qu’une cavale ! »

On a sans doute remarqué le prix élevé qu’atteignent les chaussures mises en vente. Ce cordonnier, qui commence par dire familièrement son besoin de mieux faire bouillir sa marmite, demande pour une paire de sandales des sommes qui dépassent de beaucoup, surtout si l’on tient compte des changemens de valeur de l’argent, les prétentions que pourrait avoir aujourd’hui le marchand le plus à la mode. Il fallait que cette partie du costume grec, si simple en apparence, admît des délicatesses et des recherches que nous avons peine à nous figurer. Un bon cordonnier était un artiste. Il fallait aussi que cet artiste fût privilégié, à en juger par la liberté du langage de Cerdon avec ses clientes, et que ces clientes elles-mêmes ne fussent pas des dragons de vertu. Leur familiarité ne le traite pas non plus avec beaucoup de respect ; mais elles lui passent, avec de grossières impertinences, des complimens qui seraient faits pour nous étonner, si nous n’avions vu dans une autre pièce jusqu’où allaient pour le même personnage les dispositions de Métro et de son amie Cotytto.

Le mime dont il reste à parler est en partie une parodie. Hérondas va chercher dans les mœurs peu relevées de la vie galante un personnage dont il est souvent question dans la nouvelle comédie