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ne l’aime pas tout entière et il ne comprend pas assez qu’elle est infiniment large, mais, ce qu’il en connaît, ce qu’il peut en embrasser, il le sent bien et l’exprime avec une sincérité émouvante. Peu d’hommes ont parlé de la France, de ses campagnes, de son ciel, de sa lumière avec plus d’adoration. Il aime son temps, tel qu’il est, sans regret du passé, sans impatience de l’avenir. Si chacun pensait comme lui, le monde en irait mieux et le bonheur serait moins rare.

Sa façon d’écrire offre le même mélange de bon et de mauvais que sa façon de penser. Il a le don du style ; ample et souple, sa phrase est souvent d’une franche poussée et d’une belle venue ; il conduit avec aisance la tirade pleine et sonore ; il ne sacrifie que rarement au plaisir d’assembler des mots. En art, il lutte contre le romantisme, mais, par une heureuse inconséquence, en littérature il s’y rattache franchement par le goût de la couleur et du relief. Il n’en évite pas toujours les défauts habituels, l’emphase et l’étalage du moi, il est grandiloquent et fortement personnel, mais il a un goût instinctif du naturel et de la vérité qui le ramène au simple et au juste ; il tient à ne pas parler pour ne rien dire et à ne pas employer de mots plus gros que les choses ; la rhétorique ampoulée se rencontre encore trop souvent chez lui, mais à l’état d’exception. Dans ses bonnes pages, la justesse de la pensée, la plénitude de la forme, l’autorité du ton, produisent par leur accord des morceaux excellens.

Castagnary cède facilement aux impatiences et aux boutades. Lorsqu’elles partent d’une idée juste, elles sont vraiment plaisantes et mettent dans sa critique une vivacité qui en double l’effet. Par exemple, cette sortie contre un des poncifs les plus agaçans de l’art conventionnel, le vieillard : « Quel est ce vieillard ? C’est le vieillard des peintres religieux, l’éternel et insipide vieillard, le vieillard à la pose solennellement étudiée, au costume solennellement drapé, à la face solennellement bête. Depuis le temps que je le retrouve, toujours le même, dans les tableaux des professeurs comme dans ceux des élèves, je commence à en être exaspéré. N’allons-nous pas le tuer bientôt et en délivrer à jamais la peinture ? » Il a le goût de l’image et il la rencontre souvent, sans la chercher, juste, neuve et vive ; c’est ainsi qu’il demande à l’artiste « d’éveiller les sensations multiples que la nature réelle a déposées dans nos organes et qui dorment aux avenues de chacun de nos sens, » d’exprimer « le retentissement intérieur de la vie universelle dans l’homme ; » de la sorte, dit-il, « quand nous reviendrons aux champs paisibles, pour y retrouver des senteurs et des brises aimées, pour y suivre de l’œil le