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attachaient à leur mât. Le tableau de M. Dupain représentait le départ d’un navire muni de cette branche symbolique : « À la bonne heure ! dit Castagnary, voilà de la peinture laïque. » C’est le même critique qui a déclaré sur tous les tons que le peintre ne doit peindre que ce qui « se raconte et s’explique de soi-même, » que le spectateur a le droit d’être ignorant, de ne pas savoir l’histoire et que tout tableau qui exige, pour être compris, le secours d’une explication ou le souvenir d’un livre est un mauvais tableau. « Comment, disait-il, pour avoir l’intelligence d’un tableau, c’est-à-dire d’une chose faite pour parler immédiatement aux yeux et pour rappeler à nos esprits les sensations de formes, de couleurs et de groupemens que la vie nous donne, il faudra que je batte le rappel de mes lectures, que j’évoque en imagination Shakspeare pour celui-ci, la Bible pour celui-là, la mythologie pour cet autre ? Mais si je n’ai pas lu la Bible ? Si je ne connais pas la mythologie ? Si je n’ai jamais entendu parler de Shakspeare ? » Je n’ai pas d’objection personnelle contre le sujet de M. Dupain et j’accorde qu’il est vraiment laïque, mais j’affirme qu’un lecteur, même instruit, ne comprendra la signification de cette branche au sommet d’un mât qu’avec le secours des Chroniques de Bordeaux, livre plus spécial que Shakspeare ou la Bible et qu’il est encore plus permis de n’avoir pas lu.

Castagnary ne veut pas de l’orientalisme. Le genre illustré par Decamps et Fromentin a même le don de l’agacer particulièrement. Il ne laisse échapper aucune occasion de lui dire son fait : « Il y en a, dit-il avec dédain, il y en a qui trouvent vulgaire et mesquin ce qui les entoure et qui vont chercher au loin, dans l’Orient, au fond du désert, une nature tout exceptionnelle et sans analogie avec nos idées et notre tempérament. » Pourquoi y vont-ils ? Parce qu’ils n’aiment pas les paysages français, et ces peintres contestés pourraient bien être de mauvais citoyens : « Pensez-vous que, s’ils avaient une grande confiance dans la beauté de la France, de son ciel et de ses habitans, les orientalistes nous emmèneraient sous une latitude inconnue, devant des effets de lumière dont ni vous ni moi ne saurions contrôler la justesse ? Quand je vois des gens qui seraient incapables de peindre la plaine Saint-Denis, aller chercher un bord du Nil ou une rive du Bosphore, mon premier sentiment est de me défier. » S’il se trouve devant un bon tableau à sujet oriental, il ne peut s’empêcher de dire que c’est de bonne peinture ; mais comme cet éloge a de mal à sortir ! « Au fond, ajoute-t-il, je pense qu’un pré français, bordé d’une haie vive, vaudrait mieux. » Cet amour de l’Orient, selon lui, « n’a jamais été