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nombre de soixante. Sous le régime des lois de l’affinité, ils s’unissent et se combinent deux à deux, non au hasard, mais dans des proportions déterminées. À leur tour, observant les mêmes lois, deux corps ainsi composés peuvent s’unir entre eux. Ainsi toutes les combinaisons chimiques sont binaires : tel est le trait caractéristique de cette grande théorie du dualisme que Lavoisier eut l’impérissable gloire de fonder pour toujours. Grandiose dans sa simplicité, elle fournit aussitôt, pour s’expliquer, le principe de cette langue chimique, d’une précision si lumineuse, qui, en facilitant la compréhension des phénomènes et la généralisation de leurs lois, a multiplié l’essor et la fécondité des recherches.

L’oxygène avec le métal donne l’oxyde ; uni aux corps simples non métalliques, comme le soufre, par exemple, l’oxygène engendre un acide : et la combinaison de ces deux composés binaires, l’acide avec l’oxyde, s’appelle un sel. Un corps simple peut déplacer l’un des élémens d’un composé binaire, se substituer à lui. Jamais un corps simple ne s’unit à un composé binaire. Et alors, si les terres, chaux, magnésie, alumine, si les alcalis, soude, potasse, peuvent, en s’unissant aux acides, former des sels, c’est que ce sont eux-mêmes des composés binaires ; ce sont des oxydes : intuition de génie qui devinait ainsi, sous leur grossière métempsycose, l’individualité de ces métaux encore inconnus qu’on ne devait découvrir que longtemps après Lavoisier, au prix de savantes recherches et de laborieuses tentatives.

Les minerais des métaux connus dès les premiers âges de l’humanité, le cuivre, l’étain, le fer, sous l’influence de la chaleur cédaient aisément leur oxygène au carbone, se laissaient réduire par lui : le métal était isolé. Mais les alcalis, les terres, résistaient à l’action de ces deux agens, les seuls connus de l’ancienne métallurgie. Pourquoi cette différence ? Pourquoi le charbon, efficace réducteur des uns, était-il impuissant sur les autres ? Pourquoi s’emparait-il de l’oxygène des premiers, et ne parvenait-il pas à dissocier les élémens des alcalis ? C’est que ces combinaisons ne sont pas l’œuvre d’un aveugle et morne hasard. Une loi très nette y présidé. Entre ces élémens primordiaux de l’inerte matière, l’affinité, une des formes sans doute de l’universelle attraction, agit, qui les pousse à se chercher, à s’unir, à former des combinaisons dans lesquelles chacun s’oublie et disparaît, faisant place à un composé qui a son individualité propre, ses qualités personnelles. Mais toutes ces unions ne sont pas durables : le carbone, nous l’avons vu, détruit celles que l’oxygène avait, au sein des formations géologiques, contractées avec le fer et les autres métaux usuels ; il ne peut rien ni sur les terres ni sur les alcalis ; l’hydrogène prend aux côtés du chlore ou de l’iode la place que