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l’homogénéité et à la résistance. Ces utiles alliages, connus sous les noms de metal mitis, de ferro-aluminium, ont, comme bien d’autres produits, obtenu les honneurs de la persécution douanière. On en a surélevé artificiellement le prix, en les frappant de droits élevés, au préjudice des industries métallurgiques auxquelles ils deviennent chaque jour plus indispensables.

Quant au métal pur, on lui trouve chaque jour une nouvelle utilité : moins employé dans l’orfèvrerie, il l’est davantage dans les rangs plus modestes de la vaisselle et de la batterie de cuisine. Aux États-Unis et en Allemagne, on l’introduit, à titre d’essai tout au moins, dans l’équipement du soldat. Son alliage avec le titane, métal assez rare, dont notre colonie de la Réunion possède d’importans gisemens, est très dur, très résistant, tout en restant fort léger. N’en pourrait-on pas faire des pioches, des baïonnettes, des sabres, des gamelles, qui chargeraient moins nos pauvres petits hoplites ? L’armée russe essaie des horse shoe en aluminium, et les chevaux des dragons finnois, sur lesquels se fait l’expérience, y gagnent, paraît-il, une sensible rapidité d’allures. Il s’introduit aussi dans les machines, pour alléger le poids mort de certaines pièces, — particulier avantage pour la navigation aérienne, et aussi pour les vélocipèdes. On a vu sur le lac de Genève évoluer un petit canot entièrement en aluminium, coque et machine, et peut-être y a-t-il là une ressource pour les hardis explorateurs des fleuves, aux multiples rapides, du continent africain. On parle d’en faire des aérostats, et les Américains annoncent que l’un des clous, — pour parler le langage courant, — de l’exposition de Chicago sera une maison de seize étages entièrement en aluminium, y compris portes, fenêtres et lambris. Faut-il croire que l’aluminium va ainsi se substituer aux autres métaux usuels ? Mérite-t-il ce nom de fer de l’avenir qu’on lui donne quelquefois, et un journal américain a-t-il eu raison d’appeler par avance le siècle qui va commencer, le siècle de l’aluminium ?

Ne convient-il pas plutôt de penser que les besoins naissent et croissent avec les moyens de les satisfaire, et que, sans nuire à ses prédécesseurs, le nouveau métal créera en quelque sorte les usages auxquels on l’emploiera ? Ce qu’il faut surtout retenir, c’est le caractère rigoureusement scientifique des progrès faits dans la découverte et la production de l’aluminium. Rien n’y est le fruit du hasard. Tout y est l’œuvre de l’humaine intelligence.


J. FLEURY.