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le protectorat de l’Angleterre et, en termes ambigus, déclara accepter, au nom de son souverain, la proposition qui lui était faite.

Ce malentendu, dont l’Angleterre ne se prévalut pas alors officiellement en fait, subsista cependant de longues années. Il aboutit, le 25 février 1843, à la prise de possession de l’Archipel par lord George Paulet, au désaveu de cette mesure par l’Angleterre, et enfin, le 28 novembre 1843, à la reconnaissance simultanée de l’indépendance havaïenne par la France et l’Angleterre. Il y avait alors vingt-quatre ans que Kaméhaméha Ier n’était plus. Il s’était éteint le 8 mai 1819, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, ayant terminé son œuvre, fondé sa dynastie, ne laissant inachevé que le rêve conçu par lui, inexécutable pour lui et qu’il léguait avec sa couronne à ses successeurs.

Ni son fils, Kaméhaméha II, ni son petit-fils, Kaméhaméha III, n’étaient de taille à le réaliser. Ils régnèrent sans éclat, gouvernèrent sans talent. Dissolu et débauché, Kaméhaméha II ne devait occuper le trône que cinq années et s’en fut mourir en Angleterre au cours d’une excursion que son humeur vagabonde, et que sa curiosité avivée par les récits des blancs et les visites des bâtimens de guerre anglais le décidèrent à entreprendre en Europe. L’Angleterre l’attirait ; il voyait en elle la protectrice de son royaume, la patrie de Vancouver, l’ami de son père. Il sentait le besoin d’un appui, sans force contre lui-même, contre les tentations, contre les résistances des chefs sur lesquels ne pesait plus la rude main du conquérant et qui relevaient la tête, sans force aussi contre les empiétemens et les réclamations des blancs, chaque jour plus nombreux et plus exigeans.

Encouragés, mais contenus par Kaméhaméha Ier, ceux-ci exploitaient la faiblesse de son fils, ses incessans besoins d’argent qui le faisaient mettre en coupe réglée les forêts de bois de sandal vendu à vil prix en échange de spiritueux, leur principal article d’échange. Ces trafiquans, gens sans aveu et lie de toute nationalité, commençaient à affluer dans le Pacifique, attirés par l’appât du gain, donnant libre carrière à leurs instincts brutaux et rapaces. La civilisation, telle qu’elle apparaît d’ordinaire à ces races primitives, est une laide chose, représentée qu’elle est le plus souvent par le débitant d’eau-de-vie ou le marchand d’hommes, par le matelot déserteur ou le traitant sans conscience, qui tous spéculent sur les passions ou l’ignorance des indigènes, entant sur leurs vices des vices nouveaux.

Le long règne de Kaméhaméha III, qui dura vingt-neuf années, de 1825 à 1854, fut, pour l’Archipel havaïen, une période de transition et aussi d’initiation. Un facteur nouveau apparaissait,