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brusquement imposées ne les atteignaient pas moins dans leurs passions brutales que dans leurs intérêts. L’eau-de-vie, leur principal article d’échange, cessait d’avoir cours ; un commerce régulier n’était pas ce qu’ils cherchaient ; plus d’heureux achats à négocier avec un chef ivre, donnant en échange de quelques barils de mauvaise eau-de-vie ou de ballots d’étoffes bariolées un chargement de sandal revendu en Chine des milliers de dollars, ou les vivres nécessaires au ravitaillement d’un navire. C’était la ruine pour eux et la ruine sans compensation des seuls plaisirs à leur portée et de leur goût.

Ils ne s’en tenaient pas à de vaines récriminations, à d’inefficaces protestations. Les outrages, comme on les appelait, les révoltes à main armée se succédaient, encouragées sous-main par de jeunes chefs, partisans de l’ancienne licence, réfractaires au joug méthodiste et supportant impatiemment l’apparente hypocrisie qu’il leur imposait. À Lahaina, en 1825, l’équipage du navire anglais Daniel descend en armes à terre, impose aux autorités impuissantes la suppression du tabou sur les visites des femmes à bord, sur les cabarets, et pendant un mois l’orgie règne triomphante dans la capitale de l’île de Maui. En 1826, le navire de guerre des États-Unis, le Dolphin, commandé par John Percival, somme Kaahumanu, la reine régente, de rapporter la loi du tabou sur les femmes et menace de bombarder Honolulu s’il n’est pas fait droit à sa requête. Devant la force, Kaahumanu cède, aux acclamations des matelots de tous les navires mouillés dans le port, et pendant deux mois la capitale du royaume est convertie en un lieu de débauche. L’exemple venait de haut, puisqu’un officier de la marine des États-Unis le donnait lui-même. Aussi, en 1826, Lahaina est de nouveau envahie par les équipages des navires baleiniers qui pillent les indigènes, outragent leurs femmes et leurs filles, menaçant de m ortie missionnaire américain, M. Richards et sa famille.

Aux États-Unis, une cour martiale jugeait et condamnait Percival à son retour. En Angleterre, le gouvernement blâmait les capitaines des équipages anglais qui avaient pris part à ces excès et aussi l’attitude de son consul aux îles, M. Charlton, que son animosité contre les missionnaires américains entraînait à faire cause commune avec les mécontens, mais en Angleterre, comme en France, on ne voyait pas sans inquiétude l’influence croissante des missionnaires américains sur le gouvernement havaïen, influence qui, vis-à-vis de la France, prenait une forme agressive, interdisant le débarquement, dans l’archipel, des missionnaires catholiques et les contraignant à se rembarquer. Une intervention s’imposait. La frégate la Vénus, commandée par le capitaine de vaisseau Laplace, mouillait en rade de Honolulu, exigeait