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de la double protestation de la reine et du consul-général britannique, passeront-ils outre ? Quoi qu’on en pense et quoi qu’en disent les dépêches de Washington, nous en doutons encore. Nous hésitons à croire que le congrès consacre cette iniquité et que le pouvoir exécutif l’accomplisse, que les États-Unis répudient leur politique traditionnelle en s’annexant un État insulaire situé à sept cents lieues de leurs côtes et habité par une race sans aucune affinité avec la leur. Un protectorat est possible ; mais l’Angleterre, que tant de liens dans le passé attachent à ce petit pays, n’y souscrirait qu’à la condition d’y prendre part, et un pareil condominium est-il possible ? Serait-il même compatible avec l’engagement pris par elle, vis-à-vis de nous en 1843, et ainsi conçu :

« Sa Majesté la reine du royaume-uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, et Sa Majesté le roi des Français,

« Prenant en considération l’existence, aux îles Havaï, d’un gouvernement capable d’assurer le maintien de ses rapports avec les puissances étrangères, ont jugé utile de s’engager réciproquement à reconnaître ces lies comme un État indépendant, à ne jamais prendre possession, soit directement, soit indirectement à titre de protectorat, d’aucune partie du territoire qui les compose.

« Les soussignés, le principal secrétaire d’État des affaires étrangères de Sa Majesté britannique et l’ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté le roi des Français à la cour de Londres, munis de pouvoirs à cet effet, déclarent en conséquence que tel est l’engagement pris par leurs souverains respectifs.

« Fait à Londres, le 28 novembre 1843.

« (Signé : ) ABERDEEN.

« (Signé : ) SAINT-AULAIRE. »


Rien, jusqu’ici, n’indique, de la part de l’Angleterre, l’intention de se soustraire aux engagemens pris alors. Elle peut nous les rappeler et nous demander, comme pour l’Egypte, si nous sommes disposés à joindre nos efforts aux siens, nos protestations aux siennes. En cas de refus, elle reprendrait sa liberté d’action et ne s’inspirerait que de ses intérêts. Les nôtres sont que l’archipel havaïen demeure indépendant, qu’aucune puissance maritime ne s’empare de cette position géographique de premier ordre, de cette clé de l’Océan-Pacifique du Nord.

Nous voulons espérer que, plus équitable que son prédécesseur et mieux inspiré que lui, M. Cleveland se refusera à s’engager dans la voie que M. Harrison lui trace et détournera le congrès des États-Unis d’un acte de spoliation que rien n’excuse dans le passé, que rien ne justifie dans le présent.


C. DE VARIGNY.