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désirée, on ne voit plus trop à quels calculs ou à quels mobiles il a obéi, — à moins qu’il n’ait tout simplement cédé à l’impatience d’une situation fausse. M. le président du conseil est certainement un esprit éclairé et modéré ; il a une trop sérieuse intelligence des intérêts permanens, des intérêts extérieurs et intérieurs de la France, pour avoir la moindre illusion sur la politique radicale qu’il a souvent combattue avec autant de netteté que de prévoyance. Il sait ce qu’elle vaut, ce qu’elle promet au pays. S’il n’a aucune illusion, cependant, il a fait pour la circonstance tout comme s’il en avait, et s’alliant bravement avec les radicaux, il ne craint pas de prendre à son compte la suite des affaires détériorées de la « concentration républicaine, » — à condition, bien entendu, de rester le chef de la maison. M. le président du conseil, c’est évident, rêve maintenant d’aller aux élections à la tête de cette « concentration républicaine » qu’il s’efforce de remettre sur pied. Malheureusement, c’est là plus que jamais l’équivoque, la grande duperie à laquelle il se laisse prendre. Il recommence une œuvre où, depuis quinze ans, tous ses prédécesseurs se sont usés, sans profit pour le pays, sans honneur pour eux-mêmes.

Ah ! l’ingrat et singulier travail que se donne là M. le président du conseil Ribot ! Avec tout son talent et sa bonne volonté, il aura beau faire : il jouera le même air et il ne le jouera guère mieux. Les radicaux se serviront de lui et ils ne se fieront pas à lui ; il flattera leurs passions et leurs préjugés, il cherchera à les désarmer par ses concessions, — et, à la première occasion, il n’aura pas leur vote. Il sacrifie tout à une apparence d’union, à une vieille chimère, et le premier gage qu’il est obligé de donner à la « concentration, » c’est d’être réduit à n’avoir pas même une politique à avouer et à proposer. Qu’est-ce, en effet, que cette « concentration républicaine, » dont la résurrection factice est tout le secret de ces derniers débats ? M. le président du conseil a sans doute l’art des diversions éloquentes. Il sait parler avec habileté de « l’intérêt supérieur de la république, » des « idées, » des « doctrines, » des « espérances, » que représente la république, qui sont le lien des républicains, de la majorité républicaine dans le présent comme dans le passé. C’est fort bien ! En réalité, quelles sont ces idées ? M. Leydet, l’auteur de la dernière interpellation, a ses idées, son programme de réformes politiques et sociales : il veut tout réformer, les octrois, les budgets, les bureaux de placement, les lois sur le travail et le reste, — sans compter la constitution. M. Millerand a ses idées et a fait son manifeste tout socialiste. M. Cavaignac a son ordre du jour qui reste entier. M. Paul Deschanel a son programme de centre gauche et marque de ses traits les plus acérés la « politique purement négative, stérile et décevante » des radicaux. M. le président du conseil, lui aussi, a ses idées, qui ne sont pas sans doute