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devait faire quelque chose d’intolérable, et cela est tout simple, ce code étant une œuvre d’utopistes, de théoriciens d’une société idéale, non un droit coutumier formulé, réformé. On le vit bien sous les Asmonéens, quand le pouvoir de la nation appartint réellement à des Juifs. Au temps où nous sommes arrivés, il n’en était pas tout à fait ainsi ; mais peu s’en fallait. Les gouvernans perses et grecs se souciaient médiocrement des affaires de toutes ces communautés, si bien qu’elles devenaient des petits États tyranniques. Les choses se passaient comme dans les communautés de raïas de l’empire ottoman, où l’individu est sous le pouvoir absolu de son clergé. Un Juif pieux était donc régi par la Thora juive, admirable pour ses aspirations sociales, mais qui constituait à peu près le plus mauvais code qu’il y ait jamais eu. Cela faisait des situations impossibles. Il n’est pas surprenant que le droit grec, qui était, comme le droit romain, purement rationnel, offrît, selon plusieurs, pour sortir de ces impasses, une porte tout ouverte.

Ni les Lagides qui ne pratiquèrent jamais le compelle intrare pour l’hellénisme, ni Antiochus le Grand et son successeur, qui furent tolérans, n’essayèrent d’intervenir dans ce foyer brûlant, pour exercer une influence au profit de l’un ou l’autre des deux partis. Il n’en fut plus de même quand le trône vint à être occupé par Antiochus dit Épiphane[1], esprit brouillon, sans tenue, libéral par momens, violent toujours, et qui gâtait les meilleures causes par ses intempérances et son manque de jugement. Les Juifs, prévenus peut-être, lui trouvaient le visage hautain, l’air farouche, le cœur tellement dur que rien de ce qui touche l’homme, ni les femmes ni la religion, ne pouvait le fléchir. Selon eux, il n’était pétri que d’orgueil et de fraude[2]. Son manque de dignité, ses actes de polisson débauché n’auraient pas eu grande conséquence, s’il n’eût compromis son autorité en des entreprises sans issue, où les plus tristes déconvenues l’attendaient. Il aimait la Grèce, et il s’envisageait comme le représentant de l’esprit hellénique en Orient. Le Dieu qui était l’objet de ses prédilections et dont il se regardait comme obligé de promouvoir le culte était ce majestueux Jupiter Olympien[3], qu’on sert mieux par le calme de la raison que par des empressemens inconsidérés. Ce qu’il comprenait le moins, c’était le pays où il régnait, pays de profondes diversités politiques et religieuses, et où l’on ne pouvait établir une centralisation qu’en respectant hautement les cultes locaux qui étaient

  1. Polybc, XXVI, 10.
  2. Dan., VIII, 23 et suiv. ; XI, 21 et suiv., 37.
  3. L’Olympieion d’Athènes était de lui. Polybe, XXVI, 10.