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l’espace brumeux de la clarté tremblante de leurs cierges, confondant leurs chants en un grand chœur, qui monte comme une musique d’orgue, de tout le peuple et des moines prosternés.

Cependant, auprès de la grille qui entoure la vieille coupole, des hommes et des femmes sont assis par terre, semblant attendre quelque chose, et dans ces groupes, l’on reconnaît des figures d’une autre race, de grands yeux orientaux. À leur tour, ils se forment en procession, au moment où s’ouvre une porte d’où débouche le clergé arménien que mène un prêtre, la tête chargée d’une pesante et large tiare, et elle va vite, la troupe dorée, à grands pas, jetant de l’encens à tour de bras, clamant ses chants à tue-tête, au hasard, semble-t-il, — voix discordantes de peuple incivilisé. À regarder ces figures grossières de prêtres arméniens, on comprend très bien qu’il n’y a chez eux que le rite, et qu’avec eux nous rentrons dans les formes orientales et figées du christianisme, d’un christianisme mort, arrêté très tôt, n’ayant presque rien donné en développement de rêve, de sentiment et de pensée.

Chose étrange que toute cette accrétion de cultes compliqués autour de l’Évangile primitif, comme ce labyrinthe de chapelles historiées, qui a recouvert et caché le roc nu du Golgotha. Mais le christianisme ne vit pas ici, dans cet Orient où il se traîne misérablement en pays conquis. Sur la terre qui vit jaillir ses premières étincelles, — il n’a point trouvé de nourriture. Elle y fut bien vite étouffée sous l’amas des pratiques et des superstitions, la flamme originelle qui courut si vite autour de la Méditerranée, qui éclata dans cet empire où s’étaient accumulées les substances explosibles, où, les cités étant mortes ainsi que les croyances antiques, toutes les idées ayant disparu qui ordonnent l’homme en sociétés, et qui dirigent sa vie, — après un long travail de spéculation autour de l’absolu, des millions de cervelles et de cœurs languissaient dans l’attente, imprégnés de tristesse et de métaphysique. La faible lueur chrétienne que l’on retrouve en Palestine n’est guère entretenue que par les cultes orientaux, et comme il arrive toujours, en se cristallisant en rite, ces cultes-là se sont appauvris en sentiment. Qui croirait qu’en terre-sainte nos religieux doivent payer leurs élèves pour qu’ils restent catholiques ? Nous les tenons par la bouche, me disait un frère de la doctrine chrétienne. Pauvre religion sans âme, tristes lieux sacrés que nous aimons à contempler et qui ne sont qu’un berceau vide ! — Mais qu’importe au christianisme ? Sa vie est ailleurs : une idée religieuse est une créature active, indépendante d’un coin de terre ; elle va, vient, devient, se transforme, se multiplie, organise autour d’elle les rêves et les efforts des hommes ! Voyez celle qui est née du Christ, travailler toujours notre Occident, animer encore ce catholicisme qui