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soleil s’encaissent, une petite source jaillit, invisible, cachée dans une grotte obscure, et à l’entrée, il y a des groupes humains, les femmes du village troglodyte qui sont venues puiser de l’eau. D’un effort lent, avec un ample déploiement des bras, elles chargent leurs vases élancés qui débordent, les affermissent sur leurs têtes et s’en retournent majestueusement, d’une démarche alourdie…

Je me suis assis sur une pierre pour regarder les mouvemens de ces femmes dans l’éternelle désolation du paysage. Le puits est toujours en Orient le centre de la vie locale ; c’est autour de sa margelle, en emplissant leurs vases, en faisant la lessive, que les villageoises se rencontrent et bavardent ; après les longues journées à cheval, c’est là que l’on retrouve des figures humaines. Comme la condition des êtres simples, qui vivent près de la terre, reste partout la même ! Dans notre France que sillonnent les chemins de fer, il y a des paysannes dont la vie ressemble beaucoup à celle de ces femmes ; elles habitent des huttes aussi sombres. Vers les douets de Bretagne, vers les fontaines de fées, elles descendent pour faire les mêmes gestes, pour charger des brocs sur leurs têtes, pour bavarder aussi ; seulement elles ont de pâles figures claires, encadrées de toile blanche, et de hautes herbes se reflètent dans les fontaines en verdures merveilleuses.

Une à une, elles descendent, les jeunes filles arabes, par le chemin pelé, légères, cambrées, sous les plis chastes de leurs draperies bleues, de leurs admirables draperies flottantes, le front cerclé d’une chaîne d’argent. Têtes brunies, minces, allongées, presque aiguës, où l’on sent l’ossature fine et forte, le type svelte, plein de délicatesse et de fierté.

Devant, la grotte, dans une petite baignoire d’oiseau, sous l’œil des mamans de treize ans, des bébés jaunes, retroussés jusqu’au gros ventre qui ballonne, le derrière à l’air, de tout petits bébés qui chancellent encore sur leurs jambes à fossettes, barbotent, les yeux mangés par les mouches, éparpillant l’eau avec des glousse-mens joyeux de poussins. À côté, sur le mur de terre, un grand Arabe étendu ne fait rien que les suivre du regard, et de temps en temps se dérange pour relever leurs petites jupes et puis reprend sa pose tranquille.

Ces femmes ont des gestes admirables : sûrement je n’ai rien vu de plus beau dans cette Judée. Leurs voiles bleus sont très pauvres et très usés, mais quelle noblesse native, quelle dignité dans cette misère ! Pure et sereine joie que l’on éprouve à suivre la fine silhouette d’un jeune corps dessinée par les plis mouvans de la draperie. Depuis la courbe juste de la tête jusqu’aux pieds nus, elle les enveloppe et les suit. Un torse qui se cambre, un genou