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catholique moins intraitablement que ne le veulent les radicaux. La République, comme elle est faite et se maintient, n’a cure du catholicisme ; elle croit qu’elle ne se peut conserver et développer ses forces qu’à la condition que le catholicisme perde du champ de plus en plus et que peu à peu, s’il est possible, harcelé par l’État, il meure. « Des douleurs, très saint-père, vous en avez de la France chaque jour, et à la pente que descend ce pays qui m’est très cher pourtant, à moi aussi, vous en aurez, je vous le garantis, chaque jour davantage. »

Dieu nous garde d’être trop aimés de cette manière ! M. Bonghi, qui aime la France (et très sincèrement il l’aime), déteste la triple alliance (très sincèrement il la déteste) ; mais il la comprend et l’explique. Le pape, « on le dit et il faut le croire, » la « supporte malaisément, » cette triplice, et il travaille à la dissoudre. « Mais, saint-père, pardonnez-moi ; vous en êtes l’auteur principal. Si l’Italie s’est éloignée de la France, le principal motif en est dans ce foyer de discorde que vous entretenez vivace en Italie. Puisque votre sainteté s’obstine à vouloir reprendre Rome, et l’on ne sait quel autre territoire avec elle, l’Italie, à qui Rome est nécessaire pour son existence même, doit chercher à s’assurer par des alliances qu’aucune puissance ne descendra en armes pour vous la redonner, et puisque la France l’a déjà une fois redonnée à la papauté, il est tout naturel que l’Italie penche vers les puissances ennemies de la France, plutôt que de pencher de son côté[1]. »

M. Bonghi, quoique philosophe, est satisfait de cette explication. Il sent toute « l’absurdité » de s’arrêter à l’idée que la France, « plus voltairienne que jamais, » jette une armée au-delà des monts pour restaurer le pouvoir temporel des papes, mais il ne peut chasser une vague inquiétude ; la crainte de l’invraisemblable est pour lui le commencement de la politique. Car « l’histoire en a vu beaucoup de contradictions de cette sorte, et le public ne se laisse pas persuader qu’on ne peut plus en voir d’autres. » Lui, encore, il se ferait violence ; mais « le public, » la foule qui, après tout,

  1. M. Bonghi avait déjà exprimé les mêmes idées dans un article précédent : le 2 Octobre et ses conséquences : p. 6 : « L’action du pape n’a pas été la moindre des raisons pour lesquelles le gouvernement italien s’est attaché à l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche, enlevant ainsi à l’une et à l’autre toute velléité de prendre contre l’Italie la défense du pouvoir temporel, velléité qui dans l’esprit de la première eût pu surgir et dans l’esprit de la seconde eût surgi certainement. Les partisans de la triple alliance n’ont peut-être pas de meilleur argument que celui-là. Mais le pape a fait pis encore. Il a contribué à aliéner l’Italie de la France, en laissant croire que sa conduite douce (mite) envers la république, quoi que le gouvernement français fît en matière ecclésiastique, s’inspirait surtout de cette considération que, puisque la triple alliance faisait de l’Italie une ennemie pour la France, la France, tôt ou tard, pourrait l’aider dans l’accomplissement de son vœu désormais unique : redevenir prince. »