Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démontrer, — ou à peu près, — que l’image est une sensation renouvelée, généralement simplifiée, qui occupe vraisemblablement les mêmes centres nerveux que la sensation originale et jouit des mêmes propriétés. Je regarde un objet, j’ai une sensation visuelle particulière ; je terme ensuite les yeux en cherchant à me représenter cet objet ; j’en ai alors la vision mentale, l’image, et cette image, si ma mémoire visuelle est bonne, a la netteté d’une sensation renaissante, en l’absence de l’objet extérieur capable de la produire. Quand il s’agit d’images concrètes, succédant à des sensations concrètes, le lien de parenté qui les unit est facile à reconnaître, et on peut du reste instituer un certain nombre d’expériences de psychologie qui montrent bien que l’image est un état faible de la sensation. Il n’en est plus de même pour une image abstraite ; comparons à une sensation non pas un souvenir, mais une idée générale, comme celle de force, d’infini, de valeur ; essayons de savoir ce qui se passe dans notre esprit au moment où nous pensons à la signification de ces termes, et rapprochons ce phénomène de celui de la sensation ; la différence est considérable, et on a peine à saisir une relation entre les deux. L’importance des idées générales est assez grande pour mériter une étude de leur nature psychologique ; il y a beaucoup de sciences qui n’ont pas d’autre aliment que l’abstraction. Dans un ouvrage d’économie politique, comme me le faisait remarquer dernièrement M. Taine, combien y a-t-il de sensations rappelées au lecteur, c’est-à-dire d’images concrètes ? Presque pas ; le raisonnement porte sur des signes, des idées générales, telles que la valeur, l’échange, l’exportation, l’importation, etc. Il serait bien intéressant de savoir ce que pense un économiste quand il écrit ces mots, avec l’idée de leur sens, et c’est pour éclaircir les questions de ce genre que M. Ribot a fait son enquête.

L’éminent professeur a procédé de la façon suivante : il prononçait un nom abstrait devant une personne et lui demandait de signaler la première image mentale évoquée par ce mot. Chez la plupart des gens, le terme général éveille une représentation concrète, le plus souvent visuelle ; le mot force donne la représentation d’un lutteur, d’un poing fermé, d’un cheval tirant une charrette, etc. Beaucoup de personnes voient le mot imprimé, purement et simplement ; d’autres n’ont dans l’esprit que le mot entendu ; ce sont celles qui disent qu’elles ne se représentent rien. Sur neuf cents réponses, celle-là est la plus fréquente. Pas une observation où elle ne se trouve au moins une fois. Un jour, M. Ribot demanda à un métaphysicien, qui venait d’écrire un gros volume sur la causalité, de lui indiquer ce qu’il se