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jeunesse encore inconnue, jeunesse royaliste, jeunesse libérale, qui semblait alors destinée à entrer bientôt sur la scène, à avoir sa part d’action et d’honneur dans un ordre désormais établi. M. de Falloux n’avait pas vingt ans à l’époque du ministère Martignac. Il avait passé par les lycées où il s’était rencontré et avait lié amitié avec des jeunes gens de son âge : avec Henry de Castellane qui ne fut qu’une apparition au parlement sous la monarchie de juillet, — avec le jeune Charles de Morny, « élevé par les soins paternels du comte de Flahaut, » et promis à d’autres destins, — avec Elzéar de Vogüé, avec Éleuthère de Girardin, depuis l’abbé de Girardin, connu pour sa charité. Il s’était épris, au feu de ses études, de Talma, qu’il allait voir au Théâtre-Français et à qui il s’était hasardé un jour à faire une visite de jeune auditeur enthousiaste[1]. Il avait été en même temps introduit presque enfant dans les plus illustres salons, les derniers asiles de l’esprit d’autrefois : chez le vieux marquis de Castellane, où il avait l’occasion d’entendre M. de Montlosier, le pétulant abbé de Pradt, qu’il a l’air de prendre au sérieux ; chez le vieux duc Archambaud de Talleyrand, qui se faisait raconter à sa toilette les nouvelles du jour ; à l’hôtel de Crussol, chez la vieille duchesse d’Uzès, une Châtillon, fière de sa race, dont un des familiers était ce bon M. Brifaut, galant homme, dernier poète de boudoir, — qu’il devait retrouver un jour à l’Académie française pour le recevoir. Bref, il avait tout ce qui peut le faire ressembler, dans le lointain du temps, à un jeune homme un peu avancé pour son âge, prématurément gâté par la fortune, par les relations de sa famille, par la facilité avec laquelle tout s’ouvrait devant lui. Il a confessé depuis avec une aimable ingénuité le péché de son adolescence. Il a avoué qu’il avait, dès sa jeunesse, « contracté des habitudes incompatibles avec les travaux sérieux et durables, » qu’il avait négligé tout ce qui exigeait un effort, qu’il avait eu l’illusion de sa facilité, qu’il avait « mené de trop bonne heure une vie trop mondaine. » Ce qui veut dire qu’il avait plus d’usage, de vernis et d’apparence, que d’étude et de fonds.

C’était à tout prendre, à vingt ans, un jeune royaliste heureusement doué et donnant des espérances, tenant du Vendéen par des

  1. M. de Falloux raconte cette innocente et aimable anecdote. Talma, à qui il n’avait su trop que dire, l’avait reçu en homme touché de ce jeune enthousiasme. Un soir, sortant du Théâtre-Français avec sa mère, il se trouvait en face d’un homme enveloppé de son manteau : c’était Talma, qui le reconnut et lui dit : « Eh bien ! mon jeune ami, avez-vous été content de moi ce soir ? » Qui fut ébahi ? Ce fut sa mère, Mme de Falloux, à qui il fallut raconter l’escapade et qui n’eut pas de peine à pardonner.