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Wellington, depuis le maréchal de Bourmont, ce soldat énigmatique, tour à tour Vendéen, général d’empire, défectionnaire de Waterloo ou glorieux conquérant d’Alger, jusqu’à Marie-Louise endormie et épaissie dans les vulgarités de Parme, après avoir été l’impératrice de 1811[1]. Il s’intéressait à tout, recueillant sur les uns et les autres les anecdotes qu’il conte d’un tour léger, acceptant sans effort et sans exclusion les relations et les connaissances que le hasard des voyages lui offrait. Une des plus curieuses de ces relations formées en voyage a été assurément celle qu’il nouait dans une auberge de Londres avec un jeune Français inconnu comme lui, destiné à devenir à son tour un personnage. Un léger service d’argent, rendu par M. de Falloux à M. de Persigny comme à un compatriote dans l’embarras, rapprochait ces deux hommes qui n’avaient rien de commun, ni l’éducation, ni les idées, ni les relations de société. M. de Persigny, déjà fanatique d’impérialisme, engagé dans tous les complots pour la cause du prince Louis Bonaparte, avait été touché de la bonne grâce de celui qui lui avait galamment rendu service. M. de Falloux avait été frappé de la confiante franchise et de l’originalité de son jeune compagnon de voyage. Bonapartiste et Vendéen ne marchaient guère sur le même chemin. N’importe : le bonapartiste ne trouvait rien de mieux, pour témoigner sa reconnaissance, que d’essayer de convertir à l’empire le Vendéen, qui se défendait gaîment en invoquant sa fidélité royaliste. « Je respecte votre sincérité, lui disait un jour M. de Persigny, d’un accent pénétré et tout prophétique ; vos yeux s’ouvriront. Le prince Louis Napoléon régnera et vous serez de son premier ministère ! » Pour le coup, M. de Falloux accueillait la prophétie par un éclat de rire et répliquait en plaisantant : « Promettez-moi, en ce cas, que vous me donnerez mon portefeuille. — Soit, continuait M. de Persigny, avec une solennité qui paraissait comique, « je vous le promets ! » Et ce qu’il y a de plus singulier, c’est que ces propos de jeunes gens n’ont pas été un roman, qu’ils sont passés un jour dans la réalité ; c’est que cette liaison de hasard est devenue une amitié durable, qui a survécu à tous les caprices de la fortune. La moralité de cette histoire est que la France est décidément le pays où tout arrive !

À travers ces voyages ou dans l’intervalle de ces courses qu’il animait de tout le leu de sa jeunesse, M. de Falloux ne laissait pas d’avoir ses liens à Paris ou en Anjou. Il était resté Angevin par ses

  1. Ce qu’il y avait de piquant, c’est qu’un parent de M. de Falloux, un comte de Bombelles, nommé « au poste de grand-maître de la cour de Parme, vacant par la mort du comte de Neipperg, » avait en effet remplacé M. de Neipperg dans toutes ses fonctions et était par le fait le troisième mari de Marie-Louise. M. de Falloux était de la famille !