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avec cela le sentiment royal inné que ne voyait pas l’irrévérencieux Beyle. Autour du prince, de ce jeune roi sans royaume, dans l’exil comme en France, s’agitaient des influences contraires, sinon ennemies, se disputant la direction des affaires légitimistes, — et ici M. de Falloux lui-même est à la fois un témoin et un peintre au trait leste et piquant.

D’un côté, il y avait les légitimistes à outrance, qui en étaient toujours à la politique des coups d’État, des ordonnances de Juillet, et n’admettaient ni paix ni trêve avec le régime né de la révolution de 1830. Ceux-ci restaient persuadés que la Restauration ne s’était perdue que par ses faiblesses, par ses concessions à l’esprit révolutionnaire et que la royauté, dont ils rêvaient le retour, devait avant tout se défendre des promesses libérales. Ils ne croyaient ni à l’action légale et parlementaire, ni aux propagandes par la presse, ni à l’utilité d’entrer dans les conseils publics sous prétexte de reconquérir l’opinion en servant le pays, ils ne comptaient que sur la force, sur quelque insurrection armée, sur la politique qui avait inspiré la romanesque aventure de la duchesse de Berry, et se tenaient toujours prêts à saisir des occasions qui ne venaient pas. Un des principaux chefs de ce légitimisme était le duc des Cars, « petit homme » singulier, au dire de M. de Falloux, « vigoureux, taciturne et rêveur, » qui était « l’ennemi de la tribune comme des salons, » fuyait le monde, se donnait des habitudes de conspirateur et passait sa vie, épuisait sa fortune à préparer des plans chimériques de restauration ou de campagne. Ce vieux gentilhomme se flattait de réveiller la vieille Vendée, s’il le fallait, de rassembler 200,000 hommes sous le drapeau de la légitimité : il en donnait l’assurance à M. le comte de Chambord ; c’était l’illusion d’un fanatisme naïf. Dans l’intimité même du prince, la politique d’ancien régime avait sa représentation sous une autre figure, avec d’autres nuances. Le duc de Lévis n’était point le duc des Cars. Il avait cependant, lui aussi, une originalité particulière dans son rôle de conseiller intime de M. le comte de Chambord.

Oh ! le curieux et malicieux portrait que M. de Falloux a tracé de ce ministre-chambellan de l’exil ! Jadis brillant colonel de hussards, maintenant « devenu gros et d’un aspect peu distingué ! » Rien sans doute ne pouvait égaler le dévoûment et le zèle de M. le duc de Lévis au service de M. le comte de Chambord. Pour peu qu’on eût le temps de causer avec lui, on ne pouvait se défendre « d’être touché de la loyauté de ses intentions et de la droiture théorique de son esprit. » Seulement, — seulement si on allait un peu plus loin, on ne pouvait s’empêcher de le trouver c lent, méticuleux, » disposé à grossir les difficultés et à s’en faire un rempart. L’honnête gentilhomme était un Bartolo ! Sa plus grande crainte était de laisser