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dans Jérusalem monté sur un petit âne, et tout le peuple sortant au-devant de lui, jetant des rameaux, étendant des tuniques sur son chemin ; Thomas incrédule mettant son doigt dans les plaies de Jésus, l’Ascension rayonnante au milieu des apôtres. Oui, il est étrange de retrouver ainsi, en plein monde antique, au cœur du IVe siècle, une partie de nous-mêmes, de se dire que les attitudes et les types sacrés sont déjà fixés, que des millions d’hommes se consolent déjà en imaginant les mêmes figures que l’on peint aujourd’hui pour nos églises, dont rêvent nos communiantes, devant lesquelles vont s’agenouiller nos veuves.

Ce sont ces images-là qui sont saintes, non pas ces lieux de pèlerinage, non pas cette terre de Bethléem où s’ouvre ce gracieux marché arabe, où se dresse cette basilique que se disputent les moines. Notre sainte Marie n’est peut-être pas la femme sémite au teint hâlé, qui, la tête chargée de pièces de métal, s’assit autrefois sur l’aire publique en allaitant son enfant. Notre campagne de Noël n’est peut-être pas celle qui m’entoure en ce moment, cette âpre terre dénudée, mangée par le soleil et par les hommes, ce dur paysage couleur de fer. Le véritable Noël, la véritable sainte-famille furent rêvés en Europe, au moyen âge, par des moines et des paysans au cœur tendre : sur des champs et sur des bois fleuris, sur une verte campagne, une nuit radieuse et bleue comme celles de notre mois.

de juin, une étoile merveilleuse que suivent des rois mystérieux, bardés de fer comme les chevaliers, chargés de joyaux, venant on ne sait d’où, marchant à travers les blés et les ruisseaux vers la crèche de paille où, non loin des brebis, dans son auréole, le petit enfant dort sous la garde du bon charpentier, sous le regard suave et profond d’une blanche sainte Marie…


22 septembre.

La promenade de la Mer-Morte est aujourd’hui encore une petite expédition. Il faut toujours une escorte contre les Bédouins pillards, des guides, des tentes ; on chevauche la nuit et le jour, et là-bas, pour se reposer au fond des ardentes dépressions qui s’enfoncent au-dessous des mers, nous n’aurons guère que les heures terribles où l’on ne peut ni manger, ni dormir. Tant mieux. À ce régime, le touriste observateur s’endort ; sous la fatigue, il ne reste qu’un être simple et passif sur lequel les impressions s’enfoncent comme sur un enfant ou un paysan, sourdes, vagues, mais durables. Cet être-là, que chacun de nous porte en soi, manque d’idées, il ne sait pas s’exprimer, mais il est le seul qui contemple et se souvienne.

Nous partons comme le soleil commence à baisser, et par la vallée