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en silence ces modernes civilisés qui viennent toucher à l’Orient, aux pays immobiles du Passé. Tout proche, un vieux Bédouin décharné, déguenillé, semble un pasteur sémite, un compagnon d’Abraham ressuscité du fond des siècles, sorti de son désert, soudain placé face à face avec des Parisiens qui dînent en tenue de soirée, lui debout, muet, parcheminé par le soleil et par le temps…

… Au-delà, les montagnes sacrées ondulent, les plateaux de pierre pâle croisent leurs lignes paisibles, la nuit de Bethléem rayonne d’étoiles qui nagent dans la lueur bleue de l’espace, et tout est comme il y a deux mille ans…


29 septembre.

Aujourd’hui, nous visitons la célèbre mosquée d’Omar dont la coupole byzantine s’arrondit sur le grand quadrilatère du Haram-el-Chérif, au premier plan de la ville quand on la regarde de la vallée de Josaphat. Aussi bien, ces cérémonies, ces sacrifices sanglans nous ont rappelé que Jérusalem est une des capitales religieuses du monde musulman, sacrée à tout le monde sémite, aux sémites de l’islam, comme aux sémites d’Israël, aussi bien qu’aux peuples chrétiens dont la religion est une végétation riche et bourgeonnante entée par les races aryennes sur une branche du vieux tronc sémitique, du vieux tronc nu et fort que plantèrent les premiers nomades du désert, les pasteurs contemporains d’Abraham.

On plonge dans les noirs boyaux intérieurs où se presse obscurément la foule arabe et juive. Tout au bout, la porte massive des maugrabins, que l’on traverse sous les yeux jaloux des dévots musulmans, et brusquement voici s’ouvrir à la lumière un vaste espace de terre battue, long et large de quinze cents pieds, fermé au Sud et à l’Est par le vieux mur à créneaux de la ville, planté de cyprès noirs qui rendent plus intense le bleu profond du ciel. Sur ce quadrilatère, une plate-forme, piédestal de la mosquée d’Omar, haute de dix pieds, dallée de pierres lisses, où le soleil s’étale à l’aise, se réverbère, jette une nappe aveuglante de lumière. Cours ou parvis, on retrouve toujours ces grandes surfaces simples autour des édifices musulmans, ces vastes plans nets, aux lignes précises qui vous donnent d’abord la sensation de l’espace libre, et qui flamboient sous les rayons du Midi. Cela est ardent et nu comme un morceau de désert : on dirait que pour prier, le musulman veut de la solitude autour de lui, que l’Allah farouche exige des étendues simples, ne se révèle et ne parle que lorsqu’il a fait le vide autour de lui, comme ce feu du soleil, qui pleut en ce moment dans le pur éther.