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musées Lapidario, Chiaramonti, etc., ont remplacé les splendides halles aux baies larges et lumineuses qui, du temps du Rovere, étaient appelées porticus Julia… Pour vous faire une idée de la conception de Bramante, il faut que vous ayez recours à quelque rare gravure du XVIe siècle. Si jamais, par une belle matinée, vous vous trouvez sur le chemin du Stade au Palatin, n’oubliez pas non plus de vous arrêter à un certain point, là où l’on voit à droite le Stade et à gauche le hideux gazomètre, et de lorgner au loin les murs du Vatican inondés du soleil : vous aurez peut-être alors quelque chose de mieux que toute gravure. Votre regard embrassera d’en haut tout l’intérieur du palais pontifical depuis la cour d& Saint-Damase jusqu’à l’abside gigantesque du Belvédère ; il pourra facilement faire abstraction des bâtisses de travers (la bibliothèque et le Braccio nuovo), et mesurer l’étendue de trois cents mètres parcourue jadis par chacune des galeries latérales du maître Donato. Le nicchione, — auquel toute perspective a été retirée dans le giardino della pigna avec la suppression de la cour du carrousel, — le nicchione, lui aussi, vous apparaîtra d’ici dans une élévation et une majesté que vous ne lui soupçonniez guère : il a à sa droite la coupole de Saint-Pierre, et il ne souffre pas d’un tel voisinage…

Comme le « portique de Jules, » le Belvédère lui-même ne possède plus aujourd’hui qu’un seul vestige de l’activité de Bramante sur ces lieux : le fameux escalier tournant qui, de la salle de Méléagre, descend en spirale jusqu’en bas, tout près du mur extérieur du Vatican ; construit en pente douce et large, il permettait au pape et à ses hôtes d’arriver sans fatigue, à dos de cheval, aux appartemens d’en haut[1]. Les contemporains parlent de plusieurs salles magnifiques dans l’intérieur du pavillon, d’un « lieu désigné pour le conclave » et ainsi de suite ; mais tout s’effaçait devant le viridarium, à l’entrée duquel, du côté du vestibule, on lisait les mots : procul este profani ! .. C’était en effet le sanctuaire par excellence : il demandait à être approché avec recueillement ; il avait ses chapelles (cappellette), j’allais dire ses divinités. Au milieu d’arbustes, d’orangers, de grenadiers et de lauriers qu’arrosait une fontaine jaillissante, se trouvaient là réunis les

  1. Albertini parle de plusieurs faciles ascensus, au Vatican, ut ad summitatem usque tecti possit equitari, aussi bien qu’au Belvédère, adeo quod equester per latum et altum parietem tripliciter ab uno palatio ad aliud pervenitur. Bramante semble avoir eu de la prédilection pour ce genre de montées. Son magnifique escalier au palais della Signoria à Bologne appartient à la même catégorie. Il n’est pas peut-être hors de propos de rappeler ici le passage déjà cité du pamphlet Simia, où maître Donato déclare vouloir construire une route au ciel, « si large et si douce que les âmes des faibles et des vieux pourraient y arriver à cheval… »